La rupture entre le père et la fille Le Pen est un chef-d'oeuvre de manipulation médiatique. Le story-telling orchestré autour de Marine Le Pen fonctionne à plein ! On nous vend une Marine Le Pen aux idées différentes de celles de son père, une femme à poigne qui aurait réussi à convertir le FN aux idées républicaines, une femme qui tue le père pour mieux conquérir le pouvoir. Bref, cette épisode pitoyable de lutte familiale profiterait au final à Marine Le Pen.
Ah bon ? Ce serait négligé un certain nombre de choses. Tout d'abord que tout cela repose sur des contre-vérités. Marine Le Pen partage bien l'essentiel des idées d'extrême-droite de son père. C'est le fruit de son éducation de petite fille riche et bien rangée de Saint-Cloud. La preuve par les faits ! Personne ne peut ignorer, les photos la montrant en compagnie de l'ancien SS Franz Schonhuber (ici), ou de néonazis (là), ni qu'elle fréquente régulièrement un bal organisé par l'extrême-droite autrichienne (ici). Bref, Marine Le Pen pense comme son père, mais à l'inverse de lui, ne l'assume pour des raisons purement électoralistes.
Là n'est cependant pas l'essentiel. Pour une grande partie des commentateurs politiques, cet épisode de guéguerre familiale serait bénéfique à la présidente du FN, parce qu'il lui permettrait de parachever son oeuvre de dédiabolisation du parti, qui du même coup deviendrait fréquentable et verrait les portes du pouvoir se rapprocher un peu plus. Certes ! Sauf qu'il y a juste un petit problème ! Pour que cette prophétie se réalise, encore faudrait-il que Marine Le Pen rompt définitivement avec son père et donc avec ses idées.
Oh ! Elle et son entourage font beaucoup de bruit, jouent les indignés, tapent du poing sur la table, vont dans les médias (beaucoup !), menacent, réunissent des commissions de discipline, mais au final, il y a de grandes chances qu'ils ne fassent rien. Et pour une raison évidente : papa Le Pen n'a certainement pas envie de céder la place ; or, c'est non seulement lui qui détient en grande partie les cordons de la bourse pour le FN (lire là), mais il pourrait maintenir sa candidature aux régionales dans le sud-est, une région que le FN espère ravir.
Pour finir, il est enfin une dernière contre-vérité qu'il faut pointer. Celle qui consisterait à penser que Jean-Marie Le Pen ne pèserait plus grand-chose électoralement parlement, que les électeurs FN dans leur majorité re réjouiraient de son éventuelle éviction, et donc que d'un point de vue électoral, Marine Le Pen aurait tout à y gagner. Ce serait faire fi des 33 % glanés par le patriarche dans le sud-est aux européennes. Ce serait surtout considérer que le vote FN est entièrement un vote d'adhésion et oublier qu'il reste en partie un vote défouloir. Jean-Marie Le Pen ne l'ignore pas, et il ne se gêne pas pour parler de collusion entre sa fille et le système qu'elle voudrait dénoncer. Pour beaucoup, le vote anti-système, c'est d'abord Jean-Marie Le Pen, parce qu'il exprime tout haut ce que malheureusement beaucoup pensent tout, sa fille n'a fait que rendre présentable la devanture, et rendre acceptables des idées qui ne le sont pas. En excluant son père, c'est le coté irrévérencieux, sulfureux du FN qu'elle exclurait, celui qui donne encore envie à beaucoup de se lâcher dans les urnes.
En résumé, il serait surprenant que Marine Le Pen exclue son père, mais celui-ci commence vraiment à devenir gênant, un vrai empêcheur de dédiaboliser en rond. Surtout, si la crise perdure trop longtemps, il n'est pas sûr comme on nous le vend sur toutes les ondes, que cela profite à la fille.