Si nous ajoutons à ce constat éloquent la place prépondérante prise par les abstentionnistes de gauche, une question s’impose d’elle-même: que deviennent les aspirations à la justice sociale, plus grandes et diversifiées que jamais? Jean Viard est formel: «Depuis l’effondrement de l’URSS, droite et gauche officielles n’ont pas su repenser leurs visions du monde et leurs projets. (…) L’ultralibéralisme a alors triomphé. Et des pensées réactionnaires sont arrivées à tenir le haut du pavé autour de l’idée d’identité, nationale ou religieuse; sans doute parce qu’ouvrir le monde sans inventer un nouveau récit commun était invivable.»
Reptilien. Devons-nous prendre l’affaire au sérieux ou penser que l’exagération nuit à la démonstration? Pour le sociologue post-bourdieusien Philippe Corcuff, toujours dans Libé, l’aimantation du débat politique par l’extrême droite, un temps freiné, a non seulement repris depuis son cours mais, «sous l’effet de cette tendance, le social-libéralisme a été affecté par un virus mutant associant logique néolibérale et néoconservatisme soft», dont Manuel Valls en constitue l’un des «principaux bricoleurs politiciens, davantage marionnette de l’air du temps et d’appétits de carrière qu’idéologue». Pas idéologue, Valls? A voir. Précisons que Corcuff va plus loin dans la dénonciation: «Dans un polar américain, le coroner diagnostiquerait devant un flic désabusé un début de rigidité cadavérique porteur d’un risque d’épidémie néocons.» Pendant ce temps-là, le peuple, perdu, s’abstient ou vote de manière intempestive, en réaction, en colère, par pulsion, aliénation. Jean Viard n’a pas tort de dire que le vote Front nationaliste ressemble à s’y méprendre – disons dans la plupart des cas – à un acte de désespoir. Parfois même à un vote reptilien. [BLOC-NOTES publié dans l’Humanité du 10 avril 2015.]