Un film de Rachid Bouchareb (2014 - France, USA, Belgique, Algérie), avec Forest Whitaker, Harvey Keitel, Brenda Blethyn, Dolores Heredia, Luis Guzman
Remake de Deux hommes dans la ville
L'histoire : William sort de prison, après 18 ans d'incarcération. Liberté conditionnelle. Il est bien décidé à ne jamais remettre les pieds dans les anciens milieux qu'il a fréquentés. Il veut se faire une nouvelle vie, avoir un travail honnête, fonder une famille. En prison, il s'est converti à l'islam, qui donne un nouveau sens à sa vie : humanisme, foi en l'avenir, règles éthiques. Son agent de probation le met en garde : au moindre incident, il retourne en prison. Mais tout commence bien, William trouve un job, et tombe amoureux. Le problème, c'est le shérif, celui dont autrefois il a tué le partenaire, qui rêve de le voir replonger...
Mon avis : Pour ceux qui n'ont pas vu l'original, c'est un bon film. Pour ceux qui connaissent le Giovanni, c'est un peu en deça. Les personnages sont moins intenses, plus superficiels ; William est un peu chouineur, un peu pathos, il n'a pas la hargne et la pulsion de vie de Gino (Alain Delon) ; l'agente de probation, la très masculine Emily Smith (mais pourquoi donc avoir fait de Brenda cette sorte de cowboy mal dégrossi ?), est plus dure, moins bienveillante et (m/p)aternelle que Germain (Jean Gabin) ; et le shérif Agati est loin, très loin, du sadisme raffiné de l'inspecteur français (Michel Bouquet) ; d'ailleurs on le voit finalement assez peu.
Moins émouvant, moins convaincant ; ça vous remue beaucoup moins les tripes. Le message ne passe pas aussi bien.
Et pourquoi diable avoir ajouté cet élément : William qui se convertit à l'islam en prison ? Qu'est-ce que ça apporte ? Si ce n'est, malheureusement, une vague défiance envers le personnage, genre il va se faire radicaliser ! D'autant que, malgré ce que lui apporte, soi-disant, la religion en paix intérieure... il reste facilement irritable, le garçon. Peut-être ont-ils voulu transmettre le petit côté "exotique" de Gino, qui est d'origine italienne ou gitane, je ne sais plus... Mais c'est juste un tout petit détail. Ici, ils y vont à la louche : l'homme est noir et musulman, c'est clair qu'il va avoir du mal à se réinsérer ! Bouchareb voulait-il mettre à l'honneur sa culture et la beauté de l'islam ? C'est un peu maladroit... le film ne s'y prêtait pas.
Autre bizarrerie. Cherchez l'erreur. Forest Whitaker, dans la vie, a 54 ans. Dans le film, il dit à un moment : "J'ai passé la moitié de ma vie en prison" (18 ans, d'après ce qu'on sait... et, même en admettant qu'il ait déjà eu des peines de prison, qu'il était multi-récidiviste, il n'aurait pas eu la conditionnelle). Bref,si on s'en tient aux 18 ans, ça lui fait... 36 ans. C'est en effet grosso modo l'âge de Gino, celui où on a envie de se ranger, de fonder une famille, etc. Mais là, on voit bien que Forest n'a pas 36 ans ! Et ses rêves de maison, de gazon, de tondeuse... ça sonne un peu faux. Tout comme son coup de foudre, réciproque, en 24 heures chrono, avec Teresa...
Mais bon, ne soyons pas méchants. Oublions le magnifique film de Giovanni, concentrons nous sur cette Voie de l'ennemi. Et elle n'est pas si mal. C'est bien filmé, avec une certaine nonchalance (que d'aucuns qualifieront de lenteur...) dans ces superbes et arides paysages du Nouveau Mexique ; on a de bons acteurs, toujours plaisants à voir et une narration qui reste intéressante, avec l'évocation d'un énorme problème de société : la réinsertion, le pardon, la seconde chance.
La critique est mitigée. Il y a ceux qui ont aimé comme 20 minutes : "Ce beau polar sur fond de pardon et de rédemption tire le meilleur parti de paysages gorgés de soleil pour opposer Forest Whitaker à Harvey Keitel. On se laisse emporter dans cette belle histoire tragique…" ou Le Journal du Dimanche : "Rachid Bouchareb joue à fond la noirceur dans ce polar à l'ambiance quasi philosophique et au rythme contemplatif, magnifié par la beauté brutale des paysages désertiques de western." Et puis il y a ceux qui sont plus réservés comme La Croix : "En dépit de ses cadres larges, des images magnifiques de ce drame et la présence de comédiens au jeu éprouvé, Rachid Bouchareb s’enlise dans un manichéisme qui est son péché mignon et plombe, par moments (...) une intrigue déséquilibrée par des invraisemblances et des situations téléphonées."
Dans l'ensemble, c'est plutôt positif mais bizarrement, personne n'évoque le film original...
Le public français n'a pas été très enthousiaste : 38.000 entrées, et sur le net, on trouve ça un peu longuet et manichéen. Et ça rigole sec du côté de la "rédemption par l'islam"...
Si le thème vous passionne, voyez Deux hommes dans la ville.
Si vous adorez les paysages de westerns, voyez La voie de l'ennemi.