Journal 1937

Publié le 10 avril 2015 par Lecteur34000

" Journal 1935/1939 "

(Gallimard/Pléiade)

Votre puissance, qui, il faut bien le dire, n'est pas immense - ni éternelle, et qui vous dévore encore plus qu'elle ne nous dévore. Que vous soyez Mussolini nu torse ou dans la neige ou Staline caché derrière sa moustache et sa vareuse ou Hitler entouré de flambeaux. Car vous avez entrepris des tâches inhumaines. La première révolte contre vous vient de vous-même. Votre corps se révolte contre vous. Vous disparaissez jour après jour dans la gueule de votre puissance. Et votre désir de cruauté n'est plus que l'hystérie de votre faiblesse. La fatigue de vos nerfs, ce vieillissement prématuré que vous sentez en vous. C'est inhumain de vouloir diriger et dominer tant d'hommes. C'est inhumain et inutile. Vous n'êtes rien. Vous l'oubliez. Vous payez durement votre oubli dans votre chair. Vous vieillissez. On vous voit vieillir avec des temps qui pour vous se décuplent. Dans les minutes où il nous reste du temps, vous n'avez plus que du tremblement. Ebranlés par le cataclysme personnel de votre puissance ; quand nous vous revoyons, nous nous disons comme il a vieilli. Dans la justice magnifique du monde, la mort vous cherche au milieu de nous comme un épi particulier. Au milieu de nous qu'elle abandonne à notre sort, elle s'occupe de vous et son approche vous flétrit de minute en minute. "