~d'après AUPRÈS D'UN MORT de Maupassant
Par hasard, j'ai rencontré hier, Un ami de Schopenhauer. Je ne l'aime pas, lui dis-je. Ce jouisseur désabusé Me donne le vertige. Il a renversé Les espoirs, les croyances, la poésie. Par son irrésistible ironie. Ce sceptique a saccagé les illusions du cœur. Ce philosophe moqueur A ravagé la conscience des âmes. Il a tué le culte de la femme.
Cet homme me confia un de ses souvenirs : " Schopenhauer venait de mourir. Nous l'avons veillé avec un ami. Sa chambre était éclairée par deux bougies. Sa pensée nous avait tant emballés Que nous nous sentîmes envahis Par l'atmosphère de son génie. Il semblait qu'il allait nous parler. Tout bas, nous causions de lui, De son incomparable esprit, Nous rappelant ses préceptes surprenants.
Mais nous devînmes vite mal à l'aise, Oppressés, défaillants. L'odeur fort mauvaise, Ecœurante, du corps décomposé Nous envahissait. Mon compagnon me proposa alors De passer dans la pièce d'à-côté En laissant la porte entrebâillée De sorte que nous puissions voir le mort Et continuer de le veiller. Au bout d'un moment, Nous vîmes quelque chose de blanc Courir sur le lit Et tomber sur le tapis.
Un frisson nous passa dans les os. Nos regards furent sur lui aussitôt. Saisis, Nous nous approchâmes de son lit. Il avait les joues creusées, La bouche serrée. Il grimaçait. Effarés, nous le regardions Comme devant une apparition. Mon ami se pencha Puis me toucha le bras : À côté du lit, par terre, Il me montra le râtelier de Schopenhauer ! Ce fait n'est pas le fruit de mon imagination. Vous pouvez me croire.
Le travail de décomposition Avait desserré ses mâchoires Permettant à l'appareil de s'éjecter Et de rouler à son chevet. "