Après Truffaut, c’est au tour de Michelangelo Antonioni de bénéficier d’une exposition monographique à la Cinémathèque de Paris qui poursuit ainsi sa tendance, depuis quelques temps déjà, à consacrer son espace à des cinéastes plutôt qu’à des sujets transversaux (plus difficiles, il est vrai, à scénographier).
C’est donc à nouveau un individu et son oeuvre qui seront (re)mis en lumière ces prochains mois. Il est heureux que le choix se soit porté sur Antonioni, cinéaste de la modernité par excellence dont les films sont, encore aujourd’hui, de grandes références. Ayant su capter dans l’architecture moderne une forme de fascination en même temps que d’aliénation, Antonioni fut aussi l’un des plus grands cinéastes de la couleur (Le Désert rouge) et de l’errance (Profession : reporter), et un observateur attentif de son temps, documentant la vie des Gens du Pô, explorant le swinging London (Blow-Up), suivant la jeunesse effrontée de Zabriskie Point…
Michelangelo Antonioni
On apprécie d’entrée de jeu, dans cette nouvelle exposition, l’espace important qui, débarrassé des couloirs et autres pièces exiguës trop souvent étouffantes, permet d’embrasser d’un premier regard l’ensemble de la carrière d’Antonioni, et surtout de la suivre, pas à pas, de façon agréable et aérée. Même en cas d’affluence, on ne se gênera donc pas.
Il n’y a qu’une seule vaste pièce, au centre de laquelle, dans une vitrine disposée en ligne structurant l’exposition, on peut observer divers documents d’archives – revues de presse, courrier personnel – en regard des présentations murales assorties de citations et de textes explicatifs concis retraçant, de façon chronologique, la filmographie d’un Antonioni d’abord proche du néo-réalisme, influencé par Visconti, puis imposant progressivement son style inédit. Idée ingénieuse : les murs peints d’abord en gris – période du noir et blanc et du béton moderne – puis de couleurs suivent eux aussi les métamorphoses esthétiques du cinéaste italien. On pourra également voir de nombreux extraits, souvent iconiques, comme la scène du tennis sans balle de Blow-Up ou les explosions au ralenti de Zabriskie Point. Le beau visage de Monica Vitti, compagne et muse du cinéaste, hante bien sûr une grande partie de l’exposition.
L’Avventura
La surprise de l’exposition recouvre le mur du fond : dans les années 1970-80, Antonioni s’est adonné à la peinture avec un talent certain. Ses « montagne incantate », d’abord réalisées sur quelques centimètres, ont ensuite été agrandies (« blow-up ») pour donner des oeuvres fort belles. Une découverte donc, qui confirme l’ambition de l’exposition : souligner la dimension picturale du travail d’Antonioni. L’exposition a bénéficié de beaux apports, notamment un Chirico et un Rothko. Elle s’achève sur le dernier court-métrage du cinéaste – consacré aux statues de Michel-Ange – et les nombreuses références faites à son oeuvre dans l’art contemporain. Une comparaison cinéma / peinture qui, outre le fait qu’elle est toujours passionnante, s’applique bien à l’oeuvre d’Antonioni.
On est par conséquent un peu surpris par le sous-titre de l’exposition : « Antonioni, aux origines du pop ». On ne sait pas trop ce qui est sous-entendu par là – ce choix n’est jamais explicité dans l’exposition – mais on soupçonne une tendance (récurrente ces derniers temps à la Cinémathèque) à l’accroche tape-à-l’oeil et facile. Car enfin, si le cinéma d’Antonioni s’est intéressé à l’actualité, y compris culturelle (la mode, le rock, la publicité), doit-on qualifier une telle attitude de pop(ulaire ?), quand on sait la mélancolie et la capacité d’abstraction de ce cinéma ? Non, décidément, il y a un mot pour cela qui, visiblement, n’était pas assez vendeur : Antonioni, c’est la quintessence de la modernité cinématographique.
Zabriskie Point
Courrez profiter d’une exposition instructive qui vous donnera à coup sûr l’envie de (re)voir sur grand écran (le cinéma d’Antonioni souffre-t-il un autre format ?) les oeuvres de ce cinéaste à la réalisation sans pareille.
Alice Letoulat
Exposition à la Cinémathèque Française du 9 avril au 19 juillet 2015
Rétrospective du 9 avril au 31 mai 2015
Commissariat d’exposition : Dominique Païni