« Rester immobile et silencieux et se fondre dans le décor. Je m’asseyais toujours à la table la plus retirée. Et j’attendais. J’étais quelqu’un qui s’arrête au bord d’un étang au crépuscule et laisse son regard s’accommoder à la pénombre avant de voir toute l’agitation des eaux dormantes. En me promenant dans les rues voisines, j’étais de plus en plus persuadé que je la retrouverais sans rien demander à personne. Je marchais dans une zone sensible et j’avais mis beaucoup de temps pour y accéder. Tous mes périples dans Paris, les trajets de mon enfance de la rive gauche au bois de Vincennes et au bois de Boulogne, du sud au nord, les rencontres avec mon père, et mes propres déambulations au cours des dernières années, tout cela m’avait conduit vers ce quartier à flanc de colline, au bord de la Seine, un quartier dont on pouvait dire simplement qu’il était « résidentiel » ou « anonyme ». On m’y avait donné rendez-vous dans une lettre qui datait d’il y a quinze ans et que j’avais reçue la veille. Mais il n’était pas trop tard pour moi : quelqu’un m’attendait encore derrière l’une de ces fenêtres, toutes les mêmes, aux façades de ces immeubles que l’on confondait les uns avec les autres. »
Patrick Modiano, Accident nocturne, Gallimard ed, 2003, p. 97