Le titre du recueil des cent vingt-cinq poèmes de Pierre-André Milhit, La garde-barrière dit que l'amour arrive à l'heure, reprend une des sentences qui terminent chacun d'entre eux, qui en sont comme la chute, le plus souvent inattendue, et qui séduisent l'esprit parce qu'un tantinet facétieuses.
Ces poèmes sont en effet tous composés de onze vers libres comme l'air: deux strophes, l'une de six vers, l'autre de quatre, suivies d'une sentence poétique paradoxale (dans l'exemple du titre, c'est l'amour qui se substitue au train que le lecteur attendait):
un pigeon amoureux parade
comme un petit caporal
il marche sur sa propre fiente
et sur une peau de banane
la pigeonne lui dit d'aller se faire cuire son oeuf
Ces sentences prennent l'allure de dictons, car elles conjuguent à chaque fois le verbe dire, surtout au présent, un présent intemporel, parfois à l'imparfait, rarement au passé composé, au futur ou au conditionnel.
Ces sentences peuvent être l'aboutissement d'une suite d'images, ici sensuelles:
c'est un jus de canelle
qui roule sur la gorge
c'est un miel de genêt
qui perle sur la joue
c'est du lait d'onagre
qui coule sur le ventre
ta peau est un émerveillement
sur l'autel des matins doux
ta peau est une corbeille de fruits
sur la table des jours de fête
elle dit que la mémoire tient de l'imprimerie
Ou elles peuvent n'apporter qu'un point final à la dernière image évoquée:
la rédaction est un bowling
les nouvelles tombent et se relèvent
la chroniqueuse affûte ses crocs
ricane et pouffe son commentaire
elle dit qu'elle fait cochon sur la dernière quille
Ces poèmes parlent de la vie, dans toutes ses dimensions:
la vie c'est encore de la braise
la vie s'accroche aux clochers
la vie parfois s'arrête
la vie se déguste au fil des heures
demain la vie sera plus rose
Ces poèmes parlent d'amour:
je répète mon braille sur le grain de ta peau
tu me dis que ta phrase est longue de désir
De temps qu'il fait:
il pleut sur le chat qui ronchonne
De temps qui passe:
une heure pleine de feuilles mortes
quelques secondes d'étincelles
une journée faite d'évitements
quelques instants d'effleurement
une semaine longue de fatigue
une matinée de grâces et de fleurs
D'êtres et de choses aux comportements anthropomorphes:
le noisetier fait faillite
la valériane est sous tension
la lessive sanglote sous l'averse
Le monde poétique de Pierre-André Milhit offre de belles correspondances au lecteur. Il ne peut qu'être ravi d'être admis dans la familiarité d'un tel monde qui parle à son imagination, d'être invité à en partager les goûts et les couleurs, d'être comblé par ses mots harmonieux et ses images évocatrices. Et, si ses nuits sont sans sommeil, la sentence suivante devrait le redresser au lieu de l'accabler et lui apporter quelque réconfort:
l'insomnie dit que la vie est verticale
Francis Richard
La garde-barrière dit que l'amour arrive à l'heure, Pierre-André Milhit, 136 pages, éditions d'autre part