Patricia Russo, la Directrice Générale d’Alcatel-Lucent, se serait vue attribuer 800.000 stocks-options à un prix d’exercice de 3,80 euros. Information tout à fait plausible, le cours de bourse d’Alcatel-Lucent étant descendue largement sous les 4 euros en mars et l’autorisation donnée au Conseil d’Administration par l’Assemblée générale du 20 mai 2005 à consentir des options de souscription ou d’achat d’actions prévoyant que "le prix d’émission ou d’achat des actions […] ne pourra être inférieur à la moyenne des premiers cours cotés de l’action sur le marché Euronext Paris au cours des vingt séances de bourse précédant le jour de la décision de consentir les options, soit sans décote".
Pour mémoire, les options de souscription ou d’achat d’actions, communément appelées stocks-options, permettent à son détenteur d’acheter, généralement à l’issue d’un délai de 5 ans, autant d’action qu’il a d’options à un prix convenu à l’avance et qualifié de prix d’exercice, d’émission ou d’achat. Autrement dit, Patricia Russo aura la possibilité d’acheter en 2013 800.000 actions Alcatel-Lucent à un prix de 3,80 euros. Si le cours de l’action Alcatel-Lucent à cette date est supérieur à 3,80 euros, elle aura intérêt à lever ses options et elle fera une plus-value immédiate égale à la différence entre le cours à cette date et 3,80 euros. Si en revanche, le cours d’Alcatel-Lucent est inférieur, elle pourra renoncer à bénéficier de ses options d’achat. Pourquoi en effet aller acheter 3,80 euros une action qui vaut moins que ce prix ?
Au-delà de la question de savoir si Patricia Russo mérite ses stocks-options au regard des résultats de la fusion Alcatel-Lucent, la question qui devrait faire débat me semble-t-il est celle de ce prix d’exercice de 3,80 euros. En effet, l’action Alcatel-Lucent cotait hier 4,86 euros. Où est l’enjeu pour Madame Russo ? Eviter que l’action Alcatel-Lucent ne connaisse une descente aux enfers vers ce plus bas à 2 euros déjà frôlé en 2002 ? On serait en droit d’attendre, au moins de la part des actionnaires qu’ils exigent de Madame Russo des résultats qui se traduisent dans le cours de l’action, et qu’en conséquence le prix d’exercice soit fixé à 9 ou 10 euros compte tenu de l’échéance des options en 2013. Et on pourrait s’étonner que le Comité des rémunérations mis en place par Alcatel-Lucent autorise de tels dévoiements.
On pourrait s’étonner, mais on ne le fera pas, car cet exemple du prix d’exercice ridiculement bas des stocks-options attribuées à Patricia Russo montre bien d’une part à quel point les patrons ont toujours aussi peu de contre-pouvoirs à subir (ce ne sont pas les comités de gouvernance ou de rémunérations plus ou moins fantoches qui les gênent beaucoup), et d’autre part de quelle façon les stocks-options sont devenues un complément de salaire déguisé.
Ce mode de rémunération différée que sont les stocks-options devrait d’ailleurs n’être utilisé que pour fidéliser les salariés (cela oblige à rester dans l’entreprise), en profitant de l’exonération de charges sociales qui subsiste encore. Les cadres dirigeants de l’entreprise devraient bénéficier quant à eux d’une rémunération variable, quitte à ce qu’elle soit majorée, assise sur des critères de performances financières, mais aussi sociales et environnementales, afin que les entreprises assument leur part de responsabilité dans la vie de la cité (au sens grec du terme). Un vrai défi pour les comités de rémunérations de tous les pays !