Tous les sénateurs de gauche (soit 181 voix) ont voté pour ce texte alors que ceux de la droite ont voté contre (155 voix). La majorité sénatoriale a réussi à faire passer ce texte en recourant à une méthode critiquable tout en visant un objectif inavoué.
La gauche a exhumé une proposition de loi vielle de plus de 10 ans, adoptée en 2002 par l'Assemblée, sans doute pour éviter un nouvel examen par les députés et un débat qui aurait pu être fatal au texte. Les promoteurs de ce texte ont également avancé son examen au 8 novembre, initialement prévu le 26 novembre au Sénat, pour apparemment prendre de court des associations de rapatriés qui envisageaient de lui manifester leur hostilité.
Mais toute cette démarche visait à atteindre un objectif difficilement avouable : la préparation du voyage du président de la République en Algérie, prévu en décembre prochain, en vue de s'attirer les bonnes grâces des dirigeants algériens, car on imagine mal que ce texte passe au Sénat sans l'aval de l'Elysée. La reconnaissance du 19 mars comme journée de commémoration est un signal aux autorités algériennes au même titre que l'hommage rendu aux victimes algériennes de la manifestation du 17 octobre 1961.
Mais au-delà de la méthode employée et de l'objectif poursuivi, ce texte, contrairement à ce qu'affirme son rapporteur Alain Néri, divise les Français et les associations patriotiques, et met en colère les harkis parce qu'il est inutile et ignorant de leur drame. Néanmoins, ils espèrent légitimement que la France les traite mieux à l'avenir.
Le texte est inutile puisqu'il existe déjà une journée d'hommage consacrée aux seuls morts pour la France pendant la guerre d'Algérie, instituée en 2003. Cette journée a été fixée au 5 décembre, date neutre, choisie sur la base des travaux de la commission présidée par l'historien Jean Favier, pour apaiser et réconcilier toutes les mémoires. Cette date correspond au jour d'inauguration du mémorial érigé à Paris et consacré aux militaires français tués pendant le conflit. De plus, une loi votée en janvier dernier fait du 11 novembre la journée de commémoration de tous les morts pour la France.
Il n'était donc pas opportun d'ajouter une journée supplémentaire de commémoration dans un calendrier déjà surchargé, qui méritait tout au contraire d'être allégé, comme le suggérait déjà en 2008 le rapport de la commission de réflexion sur la modernisation des commémorations publiques présidée par l'historien André Kaspi.
L'adoption du texte ignore complètement le drame vécu par les harkis et les pieds-noirs. En effet, si le cessez-le-feu du 19 mars a mis un terme aux opérations militaires, il n'a pas mis fin aux violences qui se sont intensifiées dès le lendemain. Pour les pieds-noirs et les harkis, le 19 mars 1962 ne marque pas la fin de la guerre, mais le début d'un long calvaire doublé d'une épuration ignoble et systématique. Ainsi, quelques 25 000 européens sont assassinés ou enlevés et près de 150 000 harkis, désarmés, abandonnés et livrés aux représailles du FLN, furent massacrés, en dépit des accords d'Evian censés les protéger.
Pour les harkis et les pieds-noirs, le 19 mars est synonyme de souffrances, et pour tous les Français c'est une défaite. Retenir cette date pour commémorer la fin des combats en Algérie ne peut que raviver leurs blessures, nuire à l'apaisement des mémoires et diviser davantage l'opinion publique française.
C'est surtout un manque de considération, voire une marque de mépris, pour les harkis qui ont combattu pour la France, qui vient de les trahir une seconde fois, 50 ans après la fin de la guerre d'Algérie.
...qui espèrent toujours que la France saura mieux les traiter à l'avenir.
L'adoption de la proposition de loi relative au 19 mars ne fait que confirmer le traitement injuste infligé aux harkis depuis leur abandon en 1962.
Au-delà des conditions déplorables dans lesquelles ils ont été accueillis et logés pendant plusieurs dizaines d'années, les harkis ont longtemps été ignorés sur le plan de la mémoire et privés d'une véritable reconnaissance par les responsables politiques français.
C'est ainsi que, dans le domaine des dénominations de voies par exemple, des centaines (voire des milliers) de municipalités possèdent des rues, des squares et autres places du 19 mars 1962, alors que seules deux communes sur les 36 800 que comptent la France ont osé inaugurer des rues des harkis. C'est insuffisant et tout à fait déplorable malgré le lourd tribut payé par les soldats d'origine nord-africaine dans tous les conflits dans lesquels la France s'est trouvée engagée depuis la campagne de Crimée.
Nous espérons que tous ceux qui ont imposé le 19 mars mettront autant de conviction et d'énergie pour rendre justice aux harkis et faire en sorte que des rues soient dénommées en hommage aux harkis dans leurs communes, avant peut être de proposer un texte qui reconnaisse qu' " il y a cinquante ans, la France a abandonné ses propres soldats, ceux qui lui avaient fait confiance, ceux qui s'étaient placés sous sa protection, ceux qui l'avaient choisie et qui l'avaient servie .