Mise à jour vendredi 31 janvier
Lundi 26 janvier
Deux faits sonnent la fin de la période de traumatisme national consécutif aux attentats des islamistes.
Ce matin, au moment où commence la période de l'après 7 janvier, la consigne est « on passe à autre chose ». Le flux du drame permanent que nous jouent les médias, impose son tempo et ses contenus.
Le premier fait est tonitruant.
6 heures du matin.
Plutôt que de poursuivre dans le silence de la nuit qui s’achève le plaisir solitaire des pensées joyeuses qui inaugurent mes journées, et m’amènent en douceur vers la pleine conscience en savourant le parfum du café, j’allume sottement ma vieille radio grésillante. Je suis immédiatement happé.
Une présentatrice de journal, à la façon dont les journalistes de l’audiovisuel savent impressionner les esprits assoupis au petit matin annonce, le souffle haletant, le nouveau cataclysme qui doit capter l’attention de millions d’auditeurs. Elle débite sur le rythme d'un commentateur de l'arrivée du Grand Prix de l'Arc de Triomphe, les informations qui concernent la victoire du parti Syriza au pouvoir en Grèce, la chute de l’euro...Tout ce que nous n’avons pas le droit de ne pas savoir aujourd’hui, et que nous devrons oublier après l'abattement de la prochaine catastrophe.
Pendant 19 jours de frappes médiatiques continues, de manifestations géantes en France pour défendre la liberté d’expression et la laïcité, d’agitations antifrançaises à l’étranger et de rassemblement de masse post soviétique comme en Tchétchénie, contre le "blasphème" de la nouvelle une de Charlie Hebdo, les représentants de la nation ont fait ce qu’ils savent faire.
Ils ont tenu des réunions interministérielles, pris des dispositions et prévu des dépenses pour assurer la sécurité – tout en réduisant l’endettement du pays -, organisé des cérémonies officielles (discours, obsèques, défilés, remise de médaille, déplacements sur les lieux de la tragédie, réception des familles frappées par le deuil…), communiqué en se soumettant au feu des questions des agitateurs de médias en tous genres; et légiféré d'une seule voix.
Ils ont su à la perfection fondre leurs pas dans la foulée populaire en prenant la tête de la grande parade nationale laïque du 11 janvier, et faire unanimité au prix d’une abstinence de leurs oppositions pendant quelques jours.
Ils ont pour un temps regagné la confiance des français, qui comptent sur eux pour continuer à vivre leur vie dans un climat de sécurité, à défaut d’un climat de paix.
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Les feux des médias n’éclairent pas toujours avec la même intensité tous les faits de l’actualité.
Le second fait est plus discret et lourd de sens. C’est celui qui m’intéresse aujourd’hui. Il s’agit du séjour éclair du Président de la République à Ryad le 24 janvier, pour présenter les condoléances de notre pays au successeur du roi Abdallah.
« Quand l'EIIL (Etat islamique en Irak et au Levant, ancien nom de l'EI) s'est installé en Syrie, l'Arabie saoudite a soutenu l'organisation. Son objectif : affaiblir la présence iranienne, via le Hezbollah, en Syrie et obtenir la tête du président syrien, grand allié de l'Iran.
Mais la donne a changé : les combattants de l'EI menacent dorénavant directement le royaume wahhabite, qui abrite les lieux saints de La Mecque et Médine. L'Arabie saoudite a donc fait un virage à 180°, déclarant la guerre aux djihadistes et multipliant les mesures tous azimuts. » (source : L'Obs)
Or c’est aussi ce pays qui a financé la construction d’une partie des mosquées en France, qui a formé une partie (40% dit-on) des imams qui y prêchent; imams qui ont toute latitude de s’affilier ou de reconnaître ou nom l’une ou l’autre des institutions représentatives des musulmans en France.
Ce pays est aussi un investisseur qu’il convient d’entourer de prévenance, un bon client de notre industrie de l'armement, qui compte aussi au plan de l’économie du tourisme et du luxe.
Devenu alliée de la France dans la guerre contre les djihadistes , l’Arabie Saoudite, dont le sous-sol contient toujours des réserves pétrolières estimées à 40% de la totalité qu’en comporterait la planète, demeure un partenaire économique précieux. Même avec un cours du pétrole en baisse.
Elle finance de ses pétrodollars le nouveau régime du Général Al-Sissi d'Egypte, la monarchie jordanienne; les factions armées en Afghanistan, en Irak, Syrie, au Yémen, qui se déploient sur les champs de bataille où se joue la guerre contre l'influence chiite iranienne, et s'exprime la haine de l'occident.
Par ailleurs, l'Université islamique de Médine forme 46 000 religieux de 170 pays qui deviennent autant de promoteurs du wahhabisme et de représentants de ce pays à l'étranger.
L'expansion de l'influence du wahhabisme auprès des différents états au Moyen-Orient provient du fait qu'il défend un islam rigoriste mais apolitique qui s'oppose à la fois aux tentations d'instauration d'un califat sunnite soutenu par les Frères Musulmans d'Egypte et à l'islamisme radical des djihadistes.
L'Arabie Saoudite - comme son rival le Qatar - peut-elle être si aisément oubliée, et sa responsabilité indirecte dans les attentats du 7 janvier 2015, discrètement poussée sous le tapis des intérêts économiques ?
Ceci explique pourquoi, sitôt la période de deuil national qui fait suite aux massacres du 7 janvier, il était important que le chef de l’Etat se déplace personnellement pour exprimer la tristesse du peuple français après la disparition du roi Abdallah que nous aimions tant.
Un roi dont le régime condamne à la lapidation et à la décapitation publique. « Selon le site Death Penalty Worldwide, qui recense des données sur l’application de la peine de mort à travers le monde, l'Arabie saoudite affiche l’un des taux d'exécution les plus élevés dans le monde. Selon les médias, au moins 34 personnes ont déjà été exécutées en Arabie saoudite en 2014. Selon l'Agence France-Presse, au moins 78 personnes ont été exécutées dans le royaume en 2013. »
Le blogueur Raif Badawi a été condamné en novembre dernier à dix ans de prison et 1000 coups de fouet répartis sur 20 semaines pour "insulte à l'islam" et manque de respect à son père.
Pour Plume Solidaire, combien coups de fouet, pendant combien de temps, pour avoir élevé la plume contre François Hollande ?
Et pour François, combien de points de baisse dans le prochain sondage de popularité, pour être allé baiser les babouches du monarque d'un régime qui finance le terrorisme avec l'argent du pétrole que nous lui achetons ?
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Les médias, à l’instar des hommes, sont tributaires du temps. C’est au moment où commence le travail de construction du sens - nommer les choses, identifier et hiérarchiser les faits, décrire et analyser les contextes, retracer leur histoire; bref pour ce qui nous concerne : comprendre et connaître -, que les flux événementiels venus d’ailleurs imposent le refoulement dans le passé d’actes ignobles; dont Pierre Nora* pense qu’ils feront date dans notre histoire. Et dont il pense aussi qu’ils se reproduiront.
Mais l’enfouissement des douleurs dans la mémoire collective fait aussi consensus. D’abord parce que continuer à vivre comme avant c’est montrer que les attentats n’ont pas affaibli notre confiance dans la vie ; que perdurer dans le sentiment du tragique après l’épreuve de la terreur, c’est pour le commun des mortels que nous sommes, ajouter de la tristesse à la souffrance. Là où nous désirons construire et préserver la vision un peu volontariste d’un optimisme rassurant.
Le silence était attendu aussi par celles et ceux qui n’ont jamais « été Charlie » et ne veulent plus en entendre parler, les commerçants impatients que les clients s’intéressent enfin aux soldes…
Et parce que le temps du deuil s’inscrit dans le long terme.
Une partie de la France a fait sa séance de thérapie nationale. Dans la rue, avec son téléphone portable, sa tablette numérique, ses SMS et ses mails, les chaines de télévision, les radios, et la presse.
Pourtant, dans le silence d’avant, revenu, le questionnement demeure. En dépit de notre mince mémoire d’homme, qui ne contient pas des millions de gigas, celles et ceux qui ont le recul de l’histoire vécue, peuvent-ils continuer à faire comme si rien ne s'était passé avant ? :
1984 : La Marche pour l’égalité et contre le racisme
1995 : 8 attentats à la bombe à Paris attribués au Groupe Islamique Armé (GIA) – 8 morts et 200 blessés
2005 : émeutes des banlieues
2015 : massacre de Charlie Hebdo et de Vincennes – 17 morts
Plumeacide aime le fond des choses, la lenteur, et la durée.
Demain, il y a aura encore des questions, et des réflexions sur l’islam, les banlieues, la stigmatisation et l'islamophobie…
Plume Solidaire
* historien français, membre de l'Académie française, connu pour ses travaux sur le « sentiment national »
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Pour en savoir plus : écouter Planète terre de Sylvain Khan sur France Culture
Les révolutions ont-elles de l'avenir au Moyen-orient ?
Mise à jour vendredi 31 janvier
Lundi 26 janvier
Deux faits sonnent la fin de la période de traumatisme national consécutif aux attentats des islamistes.
Ce matin, au moment où commence la période de l'après 7 janvier, la consigne est « on passe à autre chose ». Le flux du drame permanent que nous jouent les médias, impose son tempo et ses contenus.
Le premier fait est tonitruant.
6 heures du matin.
Plutôt que de poursuivre dans le silence de la nuit qui s’achève le plaisir solitaire des pensées joyeuses qui inaugurent mes journées, et m’amènent en douceur vers la pleine conscience en savourant le parfum du café, j’allume sottement ma vieille radio grésillante. Je suis immédiatement happé.
Une présentatrice de journal, à la façon dont les journalistes de l’audiovisuel savent impressionner les esprits assoupis au petit matin annonce, le souffle haletant, le nouveau cataclysme qui doit capter l’attention de millions d’auditeurs. Elle débite sur le rythme d'un commentateur de l'arrivée du Grand Prix de l'Arc de Triomphe, les informations qui concernent la victoire du parti Syriza au pouvoir en Grèce, la chute de l’euro...Tout ce que nous n’avons pas le droit de ne pas savoir aujourd’hui, et que nous devrons oublier après l'abattement de la prochaine catastrophe.
Pendant 19 jours de frappes médiatiques continues, de manifestations géantes en France pour défendre la liberté d’expression et la laïcité, d’agitations antifrançaises à l’étranger et de rassemblement de masse post soviétique comme en Tchétchénie, contre le "blasphème" de la nouvelle une de Charlie Hebdo, les représentants de la nation ont fait ce qu’ils savent faire.
Ils ont tenu des réunions interministérielles, pris des dispositions et prévu des dépenses pour assurer la sécurité – tout en réduisant l’endettement du pays -, organisé des cérémonies officielles (discours, obsèques, défilés, remise de médaille, déplacements sur les lieux de la tragédie, réception des familles frappées par le deuil…), communiqué en se soumettant au feu des questions des agitateurs de médias en tous genres; et légiféré d'une seule voix.
Ils ont su à la perfection fondre leurs pas dans la foulée populaire en prenant la tête de la grande parade nationale laïque du 11 janvier, et faire unanimité au prix d’une abstinence de leurs oppositions pendant quelques jours.
Ils ont pour un temps regagné la confiance des français, qui comptent sur eux pour continuer à vivre leur vie dans un climat de sécurité, à défaut d’un climat de paix.
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Les feux des médias n’éclairent pas toujours avec la même intensité tous les faits de l’actualité.
Le second fait est plus discret et lourd de sens. C’est celui qui m’intéresse aujourd’hui. Il s’agit du séjour éclair du Président de la République à Ryad le 24 janvier, pour présenter les condoléances de notre pays au successeur du roi Abdallah.
« Quand l'EIIL (Etat islamique en Irak et au Levant, ancien nom de l'EI) s'est installé en Syrie, l'Arabie saoudite a soutenu l'organisation. Son objectif : affaiblir la présence iranienne, via le Hezbollah, en Syrie et obtenir la tête du président syrien, grand allié de l'Iran.
Mais la donne a changé : les combattants de l'EI menacent dorénavant directement le royaume wahhabite, qui abrite les lieux saints de La Mecque et Médine. L'Arabie saoudite a donc fait un virage à 180°, déclarant la guerre aux djihadistes et multipliant les mesures tous azimuts. » (source : L'Obs)
Or c’est aussi ce pays qui a financé la construction d’une partie des mosquées en France, qui a formé une partie (40% dit-on) des imams qui y prêchent; imams qui ont toute latitude de s’affilier ou de reconnaître ou nom l’une ou l’autre des institutions représentatives des musulmans en France.
Ce pays est aussi un investisseur qu’il convient d’entourer de prévenance, un bon client de notre industrie de l'armement, qui compte aussi au plan de l’économie du tourisme et du luxe.
Devenu alliée de la France dans la guerre contre les djihadistes , l’Arabie Saoudite, dont le sous-sol contient toujours des réserves pétrolières estimées à 40% de la totalité qu’en comporterait la planète, demeure un partenaire économique précieux. Même avec un cours du pétrole en baisse.
Elle finance de ses pétrodollars le nouveau régime du Général Al-Sissi d'Egypte, la monarchie jordanienne; les factions armées en Afghanistan, en Irak, Syrie, au Yémen, qui se déploient sur les champs de bataille où se joue la guerre contre l'influence chiite iranienne, et s'exprime la haine de l'occident.
Par ailleurs, l'Université islamique de Médine forme 46 000 religieux de 170 pays qui deviennent autant de promoteurs du wahhabisme et de représentants de ce pays à l'étranger.
L'expansion de l'influence du wahhabisme auprès des différents états au Moyen-Orient provient du fait qu'il défend un islam rigoriste mais apolitique qui s'oppose à la fois aux tentations d'instauration d'un califat sunnite soutenu par les Frères Musulmans d'Egypte et à l'islamisme radical des djihadistes.
L'Arabie Saoudite - comme son rival le Qatar - peut-elle être si aisément oubliée, et sa responsabilité indirecte dans les attentats du 7 janvier 2015, discrètement poussée sous le tapis des intérêts économiques ?
Ceci explique pourquoi, sitôt la période de deuil national qui fait suite aux massacres du 7 janvier, il était important que le chef de l’Etat se déplace personnellement pour exprimer la tristesse du peuple français après la disparition du roi Abdallah que nous aimions tant.
Un roi dont le régime condamne à la lapidation et à la décapitation publique. « Selon le site Death Penalty Worldwide, qui recense des données sur l’application de la peine de mort à travers le monde, l'Arabie saoudite affiche l’un des taux d'exécution les plus élevés dans le monde. Selon les médias, au moins 34 personnes ont déjà été exécutées en Arabie saoudite en 2014. Selon l'Agence France-Presse, au moins 78 personnes ont été exécutées dans le royaume en 2013. »
Le blogueur Raif Badawi a été condamné en novembre dernier à dix ans de prison et 1000 coups de fouet répartis sur 20 semaines pour "insulte à l'islam" et manque de respect à son père.
Pour Plume Solidaire, combien coups de fouet, pendant combien de temps, pour avoir élevé la plume contre François Hollande ?
Et pour François, combien de points de baisse dans le prochain sondage de popularité, pour être allé baiser les babouches du monarque d'un régime qui finance le terrorisme avec l'argent du pétrole que nous lui achetons ?
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Les médias, à l’instar des hommes, sont tributaires du temps. C’est au moment où commence le travail de construction du sens - nommer les choses, identifier et hiérarchiser les faits, décrire et analyser les contextes, retracer leur histoire; bref pour ce qui nous concerne : comprendre et connaître -, que les flux événementiels venus d’ailleurs imposent le refoulement dans le passé d’actes ignobles; dont Pierre Nora* pense qu’ils feront date dans notre histoire. Et dont il pense aussi qu’ils se reproduiront.
Mais l’enfouissement des douleurs dans la mémoire collective fait aussi consensus. D’abord parce que continuer à vivre comme avant c’est montrer que les attentats n’ont pas affaibli notre confiance dans la vie ; que perdurer dans le sentiment du tragique après l’épreuve de la terreur, c’est pour le commun des mortels que nous sommes, ajouter de la tristesse à la souffrance. Là où nous désirons construire et préserver la vision un peu volontariste d’un optimisme rassurant.
Le silence était attendu aussi par celles et ceux qui n’ont jamais « été Charlie » et ne veulent plus en entendre parler, les commerçants impatients que les clients s’intéressent enfin aux soldes…
Et parce que le temps du deuil s’inscrit dans le long terme.
Une partie de la France a fait sa séance de thérapie nationale. Dans la rue, avec son téléphone portable, sa tablette numérique, ses SMS et ses mails, les chaines de télévision, les radios, et la presse.
Pourtant, dans le silence d’avant, revenu, le questionnement demeure. En dépit de notre mince mémoire d’homme, qui ne contient pas des millions de gigas, celles et ceux qui ont le recul de l’histoire vécue, peuvent-ils continuer à faire comme si rien ne s'était passé avant ? :
1984 : La Marche pour l’égalité et contre le racisme
1995 : 8 attentats à la bombe à Paris attribués au Groupe Islamique Armé (GIA) – 8 morts et 200 blessés
2005 : émeutes des banlieues
2015 : massacre de Charlie Hebdo et de Vincennes – 17 morts
Plumeacide aime le fond des choses, la lenteur, et la durée.
Demain, il y a aura encore des questions, et des réflexions sur l’islam, les banlieues, la stigmatisation et l'islamophobie…
Plume Solidaire
* historien français, membre de l'Académie française, connu pour ses travaux sur le « sentiment national »
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Les révolutions ont-elles de l'avenir au Moyen-orient ?