Lundi 29 mars 1915, je me rends bien compte que je me retrouve cette fois dans la ville-otage, qui attend et espère toujours sa libération

Par Cantabile @reimsavant

Après ces quelques jours vécus au calme, à Épernay, dans une ambiance offrant un contraste si violent - quant au mouvement, à l'éclairage dispensé largement le soir, par les magasins - avec celle de notre triste ville, je prends la route du retour en accompagnant un camionneur de la maison de déménagements Rondeau, qui a pu me donner place sur sa voiture. Partis à 7 h, nous arrivons à 15 h. Nous nous sommes arrêtés à Montchenot pour déjeuner et j'ai produit quatre fois mon laissez-passer dans le trajet.

En rentrant, au son ininterrompu du canon, par un temps brumeux précédant de peu la nuit, je me rends bien compte que je me retrouve cette fois dans la ville-otage, qui attend et espère toujours sa libération. Plus d'animation passé le canal ; aucune circulation un peu plus loin, des ruines et tout à l'heure l'obscurité complète, non seulement dans les rues, mais dans les boutiques des commerçants chez qui on peut encore s'approvisionner durant la journée.

J'ai préféré éviter de revenir par Dormans parce qu'il m'a été trop facile de constater à l'aller, qu'en cet endroit privilégié, les affaires devenues sans doute aussi aisées que productives depuis la guerre, ont inspiré notoirement, chez certains commerçants, une mentalité nouvelle excluant le minimum d'amabilité.

L'impression générale que me laisse ce déplacement, pendant lequel j'ai pu voir avec surprise une différence si complète des conditions d'existence, ici et là, est heureusement compensées par le bon souvenir de mon séjour trop court auprès de ma femme, de mes enfants et des parents attentionnés qui les ont accueillis le 30 novembre 194, puis leur ont délicatement facilité une installation provisoire, en attendant qu'il puisse être question de leur retour à Reims.

Paul Hess dansReims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos