C'étaient eux nos copains, on les a laissé tomber, parce que leurs paluches étaient lourdes, leurs manches pleines de cambouis, que leurs rires finissaient par ne plus être les nôtres, nous on faisait des études, puis on faisait dans la com', l'art, le journalisme. Eux ils hochaient la tête, nous prenaient parfois pour de sombres couillons - ce que pour sûr nous étions.
C'étaient eux nos copains, les mal équarris, les hagards, les laborieux, les trimardeurs qui apprenaient sur le tas de vieux métiers dont nous n'aurions pas voulu, même pour une heure, une minute.
C'étaient eux nos copains, avec leurs bonnes rides et leur bedaine précoce, eux qui se tenaient à l'écart pour nous laisser la place, comme si ça n'avait tenu qu'à nous. Eux les courageux, les entêtés, les invisibles.
C'étaient eux nos copains, pas les gentils gamahuchés de la culture, eux qui parfois ne savaient pas même lire mais en savaient plus long sur nous-mêmes que nous n'en saurions jamais, eux les héros de l'infortune et du manque de bol.
C'étaient eux nos copains, nous les avons trahis - il faudrait un maquis, à nouveau, pour qu'on se retrouve ensemble, un peu. Et du vin, beaucoup de vin, pour rattraper le temps perdu de l'amitié. Vos signatures d'une croix me sont aujourd'hui plus chères que toute cette prétendue littérature.