Décidément, les membres des CunninLynguists font fort cette année. Après l'opus tant attendu de Kno, Death Is Silent, c'est au tour de Deacon The Villain de démontrer son savoir faire en compagnie d'un faux inconnu, Sheisty Khrist qu'on avait pu entendre sur le morceau "Gun" de Dirty Acres (2007). Affublés de lunettes noires et de jheri curls à la N.W.A, les deux larrons singent le mythique crew de Compton dans une série de clips courts bourrés de clichés humoristiques où ils se présentent sous le nom de N.W. L. : Niggaz With Latitude. Tout un programme mais qui n'est pas celui qu'on croit.
"They are possibly the most swagless individuals in the history of rap..."
Au delà du strict caractère satirique, Deacon et Sheisty Khrist mettent en scène des individualités complexes, légèrement dérangées illustrées par des métaphores ingénieuses comme celle de Sheisty sur "Million Miles High" : " Some niggas burn with envy I call 'em Sherman Hemsley / they learn that I'm a Sherman tank with the Germans in me." Elaboré par Kno, ce morceau revêt un caractère inquiétant servi par une boucle angoissante et un refrain torturé : " Sitting on my rooftop, I'm a million miles high, I hear strange voices calling, I hear strange people crying ".
Intégralement produit par Deacon (à l'exception du titre cité précédemment et de "American Greed" produit par Kokayi), N.W.L n'en reste pas moins un opus extrêmement soigné tant du point de vue de l'écriture que de la production. Avec ce projet, Deacon se révèle une fois de plus, un beatmaker pertinent qui sait insuffler une véritable cohérence au projet. Introduit par la tension planante de "Call Of The Night", l'album décharge une énergie décapante dont les riffs viennent fendre l'air d'une manière aussi gracieuse qu'irréversible ("Statellites", "Brave New World" feat. Natti). A l'exception de "Rip The Guts" et de sa césure sur-vitaminée qui dénote avec le reste, l'ensemble trahit un gout immodéré pour les ambiances psychédéliques et les succincts accords de guitare dont la subtilité parsème l'écoute. Les deux MCs campent leurs personnages sans pour autant verser dans la bouffonnerie, assurés par des flows fluides et confiants.
Schématiquement, cet opus semble vouloir nous présenter deux facettes distinctes. Alors que la première partie dévoile une atmosphère vaporeuse diluée dans un bouillon abrasif ("Chevrolet Doors", "Luther"), la seconde affiche un visage ténébreux qu'annonce la douce mélancolie de "Black Dog". La suite n'est que plus redoutable lorsqu'arrive à nous "Nobody Speaks" et son orgue sépulcral dont l'intensité épouse admirablement les inflexions cristallines d'une voix diaphane. Cet acmé à la fois obscur et terriblement pénétrant, trouve un relais plus conventionnel en la présence d' "Ascension" avant d'aborder l'autre point fort de cet album qu'est le morceau de clôture. Gagné une nouvelle fois par des réminiscences psychédéliques, "Final Call" s'engage dans une conclusion passionnée de six minutes à l'amplitude progressive dont la dilatation semble vouloir évoquer les recettes de la scène planante allemande des années 1960. En reprenant le thème introductif, N.W.L. s'achève sur une fusion transcendante.
Étonnant de part ses ressources et sa personnalité, le duo Deacon The Villain / Sheisty Khrist, a sorti le grand jeux. Là où on aurait pu s'attendre à un opus reposant uniquement sur le caractère facétieux du concept, N.W.L. dépasse la stricte observance humoristique pour en faire quelque chose d'étonnant et de profondément sophistiqué.
Chronique publiée pour NeoBoto.com