Vu en salles au Cinéma Ciné Quai St Quentin 02 - Salle 5
Séance de 17h45 - VOst & 2D
Ce qui saute tout de suite aux yeux de l'amateur de fantastique, c'est la filiation directe de cette " Peau habitée " avec les Yeux Sans Visage de Franju, un classique de l'horreur à la française dont l'Espagnol emprunte le côté baroque et le cadre grandiloquent d'une demeure devenant un véritable château de Frankenstein version contemporaine.
Fort de cette constatation, on notera que le synopsis de départ est assez proche de l'œuvre citée. Dans l'original, un professeur fou essaie de rendre visage à sa fille défigurée tandis qu'ici, on va bien plus loin. En effet, Almodovar a décidé dans son interprétation de seulement s'appuyer sur cette idée de départ pour nous emmener sur d'autres pistes et pas des moins monstrueuses.
En nous orientant vers certaines destinations tout en ne nous donnant que des cartes biaisées, le réalisateur nous conditionne à penser d'une façon, à voir à sa manière une situation qui nous apparaît alors claire. Las, c'est pour mieux se jouer de nous et finalement nous retourner l'épiderme et les sangs. Une parfaite manipulation comme je n'en avas pas vu d'aussi réussie depuis celle orchestrée par Rob Zombie lors de son splendide The Devil's Rejects. Reste que là, Almodovar fait encore plus fort car il nous bouscule ouvertement dans nos ressentis, nos chairs, notre sexualité...
En parfait suspens et en parfait thriller psychologique qu'il est, la Piel Que Habito n'en oublie pas pour autant d'être ce qu'il est avant tout, à savoir un film d'horreur, bien qu'ouvertement esthétique.
En effet, il faut véritablement un esprit tordu pour amener la caméra et les comédiens à parfaitement se jouer de nous tout en nous subjuguant. C'est un pari réussi qui se fait en empruntant aux canons du genre ( notamment) et en déclinant ces scènes de pur genre au profit d'un esthétisme soigné qui permet au réalisateur de travailler sur toutes les couches de derme de ses personnages.
Ainsi, la demeure du professeur joué par Banderas devient à la fois charmante, accueillante, clinquante, aseptisée, froide et glauque... Des aspects de son propriétaire que nous découvrirons au fil du récit pour espérer finir par comprendre les tenants et les aboutissants de ce drame se déroulant devant nos yeux ébahis.
Objet de voyeurisme, revenge movie et finalement drame purement humain, le dernier film du réalisateur d' Etreintes Brisées abat ses cartes avec dextérité pour nous séduire par la beauté de ses images et de son actrice principale.
C'est là la force du film, garder une fenêtre ouverte sur l'humanité, l'amour et tout ce qui découle
des complexités de l'humain. Sous chaque peau, il ya un être qui aime, un être qui fait des erreurs, un être qui se fabrique en fonction des épreuves physiques et morales qu'il aura à subir dans la vie...Vu en blu-ray Pathé region All
Difficile d'en rajouter à l'excellente analyse "à chaud" de notre ancien collaborateur. C'est sur ses conseils et après la publication de son avis que je me suis procuré la Piel que habito. Hélas, il a fallu tout ce temps pour que je me décide à le visionner. Difficile vraiment de trouver les raisons de cette valse-hésitation : le film n'est pas si long que ça, bénéficie d'un bouche à oreille excellent, a terminé avec une note remarquable au Palmarès 2011 et peut se regarder facilement en VO (la langue de Cervantès ne me posant pas trop de problèmes). Peut-être juste une certaine appréhension : non pas que j'aie détesté les précédentes expériences almodovarienne, mais aucune depuis Attache-moi ne m'avait vraiment convaincu. Je trouvais ses films charmants, parfois poignants, parfois horripilants dans ses échanges constants et passionnés et cette observation clinique des traumatismes de l'enfance et admirais ses personnages féminins, choyés et sublimés dans leurs souffrances et leurs états d'âmes. Il me manquait une impulsion, une envie.
Toujours est-il que 4 ans après, c'est fait.
La Piel que habito est donc considéré comme un thriller. La lecture de la chronique ci-dessus laisse déjà penser que cette catégorisation est sinon hasardeuse, du moins hâtive et forcément réductrice. Tout est pensé pour justement nous embrouiller : chaque code, chaque référence, chaque élément du script ou du casting participe d'une volonté permanente d'illusion plutôt que d'esbroufe, offrant des réponses qui n'en sont pas, ouvrant des portes qui se referment, des voies qui se divisent. Ce qui caractérise le mieux ce film étrange, tant par sa configuration que par sa place dans la filmographie du réalisateur ibérique, ce sont deux adjectifs frères : malin et malsain.
Offrir à un Antonio Banderas le rôle d'un médecin de génie hanté par le souvenir de sa défunte femme, en permanence aux frontières de la folie, mais le diriger aussi sévèrement, domestiquant sa fougue naturelle tout en maintenant son charisme animal tel un déguisement social, était déjà une gageure. L'essence du film se retrouve ainsi dans le regard du médecin, dans ses yeux de séducteur assagi derrière lesquels couvent de sombres desseins, inavouables et terribles. Son repaire est celui d'un fauve policé, qu'on croit domestiqué : vaste mais froid, lumineux mais austère, confortable mais fonctionnel ; chaque porte dérobée, chaque souterrain celé dévoile une facette de la personnalité trouble de Robert. Une animalité mal réfrénée, un désir tenu en laisse, une sexualité laissée en berne depuis un décès qui le ronge. Vera, l'être ultra-sexué qu'il tient littéralement en laisse, devient ainsi le creuset de ses pulsions inassouvies et d'un besoin encore plus fort, qu'on ne découvrira que le temps d'explorer le passé malheureux d'un chirurgien plastique doué mais détruit - et encore, car les éléments qu'on nous propose offrent tant de possibilités que, même en étant particulièrement pervers, on aura du mal à anticiper le but ultime du travail de ce professeur manifestement fou.
La Piel que habito est ainsi surtout remarquable par la malice permanente qui régente sa mise en scène, constamment à la recherche du beau, sublimant le corps sans défaut de la très belle Elena Anaya, jouant sur les perspectives et ouvrant en permanence des cadres dans le cadre (par le biais des multiples écrans de contrôle de la maison/clinique/prison/refuge). Et lorsque la violence surgit, lorsque cette harmonie se brise, l'irruption d'un réel brutal et amer dérange plus qu'il ne choque : comme chez Hitchcock ou Fritz Lang, elle est orchestrée un peu théâtralement, presque en porte-à-faux, soulignant davantage le caractère malsain de l'intrigue.
Le film aurait pu s'achever sur le choc intense de la révélation finale, mais Almodovar en voulait davantage.
Surprenant, choquant et magnifique. A voir.
La Piel que habito
Pedro Almodovar
Synopsis Depuis que sa femme est morte carbonisée dans un accident de voiture, le docteur Robert Ledgard, éminent chirurgien esthétique, se consacre à la création d'une nouvelle peau, grâce à laquelle il aurait pu sauver son épouse.