Quand le quartier de Prenzlauer Berg commence à devenir à la mode, il y a bien longtemps de cela, avant que les poussettes et les kitas n'envahissent les rues et que les marginaux ne se boboïsent, un quartier alternatif se profile alors à l'horizon, Friedrichshain, sa Simon-Dachstr. et sa Boxhagener Platz. Cela aura été de courte durée, le trait marginal s'estompant pour céder la place à des spéculateurs et des investisseurs chevronnés. Rénovations de masse, ventes et locations à la chaîne sont la conséquence d'un phénomène de mode dans un quartier qu'on n'hésitait pas à qualifier de sinistré.
Neukölln fait depuis longtemps la une des tabloïdes, sans cesse présenté sous son plus mauvais jour : ghetto, zone sensible au fort taux d'immigration et d'atteintes aux personnes, bref à éviter. Un tiers des habitants vivent des aides sociales, comme le Harz IV (RMI), c'est dire si le quartier est pauvre. Le peu d'attrait que les médias entretiendront au gré du fait divers fait le bonheur de certains : loyers très bas pour des superficies habitables défiant toute concurrence. Kreuzberg, victime de son succès, tarde à passer le relais à l'un de ses quartiers adjacents encore abordables, Neukölln. Mais le transfert d'intérêt aura finalement bel et bien lieu.
Un traiteur de longue date sur la Karl-Marxstr.
Les citadins sans le sou se passent le mot. Le résultat ne se fait pas fait attendre. A la limite de Kreuzberg, le côté de Neukölln, baptisé Kreuzkölln par le magazine local Zitty, explose littéralement. Nouveaux cafés, bars et restaurants font leur apparition. Le premier bar gay et lesbien, Silver Future de Neukölln ouvre ses portes en 2007, suivront les quelques bars cools de la Weserstr., pas loin du Reuterkiez.
Que le phénomène de mode ne s'arrêterait pas là et s'étendrait à tout le quartier jusque dans les profondeurs insondables de Neukölln, ça, personne n'osait l'envisager, vu le côté éphémère des phénomènes de mode. La Weserstr., rue interminable, se prolonge jusqu'à l'extrémité de la zone A, tout près de la S-Bahn Sonnenallee. Deux ans auront suffi pour que les bars poussent comme des champignons jusqu'au croisement Wildenbruchstr. à mi-chemin de l'artère. Au-delà, Neukölln reste reconnaissable et gris, rien à signaler.
C'était sans compter sur la perle historique de Neukölln, Rixdorf, que beaucoup de Berlinois découvrent chaque année lors du marché de Noël, le premier week-end de décembre (2e avent). Rues pavées, petits pavillons avec jardins, statue à l'effigie de Frédéric Guillaume I qui accueille les protestants de Bohème (actuelle République tchèque) au XVIIIe siècle, la prestigieuse Richardplatz avec en son coeur son forgeron du XVIIe siècle et son snack aux allures d'ancien pissoir d'époque.
Tout commencera à tâtons avec le B-Lage, un bar à l'équipement style brocante, inauguré dans la Schudomastr. en 2008. Le premier café, marché et boulangerie bio ouvrira juste à côté dans la Mareschstr. Quand le bio s'en mêle, on imagine aisément la suite. Tout près de la Richardplatz, le premier café végétalien Vux dans la Richardstr. fait son apparition. Une vraie traînée de poudre. S'ensuivront un café anglais faisant aussi office de friperie dans la même rue. Des cafés sur la Böhmischer Platz et un autre café/marché bio sur la Richardplatz.
Forgeron/Centre pour femme de la Richardplatz
La cerise sur le gâteau est sans doute une boutique de souvenirs pour les touristes, ouverte depuis peu au début de la Hertzbergstr., impensable jusqu'alors, et un salon musical Die Taste au centre duquel trône un piano à queue dans une salle à la déco soignée, le tout un rien provoc dans une Sonnenallee franchement ghetto. Un week-end par mois, on peut y écouter des pièces d'opéra en live dans une ambiance amicale et conviviale.
Non loin de là, dans la Treptowerstr., le premier café italien et végétarien apparaît. Et oui Neukölln n'a pas fini de nous surprendre. L'esprit d'initiative est plus aisé quand les loyers des locaux sont bon marché, il suffit d'oser. Les prix augmentent déjà, au détriment des locataires qui commencent à s'organiser pour enrayer la frénésie commercio-culturelle. En vain.
Neukölln, entre Hermannstr. et l'ancien aéroport de Tempelhof demeure un peu moins cher car moins prisé mais pour combien de temps encore ? Le bio, le végétarien et le végétalien seraient-ils les nouveaux indicateurs de l'attrait d'un quartier ?
Pour profiter de la manne que représentent ces nouveaux arrivants, issus de tous les pays, au pouvoir d'achat bien supérieur à celui de la population locale, les chaînes commerciales s'installent sur la Karl-Marxstr. Le premier supermarché bio de la Sonnenallee vient d'ouvrir ses portes il y a quelques mois et ne désemplit pas. Une roumaine qui mendie à l'entrée du magasin rappelle la précarité sociale du quartier, au cas où on aurait tendance à l'oublier.
Les chaînes récemment installées au rendez-vous
Victime de son succès, Neukölln passera sans doute dans quelques années le relais à un autre quartier lui aussi décrié, Wedding, en qui personne ne croit non plus. A chacun son instant de gloire.
Article du Spiegel : Quand les touristes se joignent aux Berlinois pour protester contre la hausse des loyer s.