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Sorti le 1er juin dernier en direct to dvd chez Metropolitan Filmexport, et vu dans le cadre de l'opération DvdTrafic, An American Crime, dirigé par Tommy O'Haver (United States of Tara), appartient à cette catégorie de films qu'il est difficile de classer*, ou d'avoir "apprécié". Comme toute production un peu choquante relatant des faits réels, ce film se "regarde", mais ne se savoure pas. Ici, il serait sans doute plus juste de parler de "devoir de conscience", en vérité.
1965, dans l'Indiana. Jenny et Sylvia Likens sont confiés par leurs parents, forains, à une femme au foyer en grave difficulté financière, Gertrude Baniszewski. Malade, élevant seule une tribu de six enfants, Gertrude va très vite prendre Sylvia en grippe. Pendant plusieurs semaines, elle séquestre et torture la fillette dans la cave de leur maison...
En 1966, son procès s'ouvre.
Basé sur les minutes du procès de Gertrude Baniszewski, le film revient, au fil des témoignages, sur les quelques semaines passées par les soeurs Likens dans cette maison de l'Indiana. Reconstitution qui se veut aussi fidèle que possible, de l'époque, de l'état d'esprit des protagonistes, du contexte socio-culturel de cette famille, le film démarre comme une chronique banale et plutôt légère dans l'amérique des années 60. Les personnages sont rapidement identifiés, les bases efficacement posées. De fait, on entre rapidement dans l'ambiance assez particulière distillée dans le film, et l'on se prend très vite à se demander - car l'on sait dés le départ ce qui est censé se passer - comment les événements vont dégénérer au point d'atteindre le seuil du non retour. Car c'est l'incompréhension la plus totale qui plane au-dessus de cette histoire sordide. L'incompréhension devant des parents confiant leurs filles à une parfaite inconnue, malade qui plus est. L'incompréhension devant les sautes d'humeur de Gertrude, qui pratique l'auto-médicamentation. L'incompréhension face à cette tribu tantôt sympathique, tantôt ouvertement hostile, menaçante. L'incompréhension vis-à-vis de cette soeur qui reste les bras ballants, pétrifiée de peur, devant le supplice de Sylvia (héroïque Ellen Page). L'incompréhension, enfin, par rapport à un voisinage étrangement sourd et indifférent aux cris qui montent de cette maison, impossible à étouffer.
Il faut dire que le mensonge tient une place importante, ici. Le mensonge pour sauver les apparences, pour justifier, pour tromper, pour se venger, pour s'en sortir. Le mensonge dans ce qu'il a de plus immonde, étroitement lié à une conception de la religion, omniprésente, que chacun interprète selon ses besoins et qui, finalement, se verra ouvertement critiquée, sanctionnée par cette phrase finale de Sylvia: " En toute chose, Dieu a un plan. En ce qui me concerne, j'en suis encore à me demander quel était son plan."
Au-delà de l'indignation et de l'incompréhension, à la fin du film, c'est surtout l'irritation qui prédomine. Véhiculée par ce souci constant que semble avoir le réalisateur d'apporter une justification aux actes de Gertrude (héroïque Catherine Keener) et de sa marmaille. Pour le spectateur, la réponse est claire, tout comme pour le jury, a priori: il n'y en a aucune. La seule réponse possible, même si celle-ci connaissait de graves difficultés, c'est que cette famille baignait tout bonnement dans l'immoralité la plus profonde, chaperonnée par une mère rendue à moitié schizophrène par les medocs. Pourtant, durant tout le procès, et surtout durant la reconstitution des faits, O'Haver persiste à chercher des circonstances atténuantes à cette femme, la faisant régulièrement passer du statut de bourreau à celui de victime. ( Et puis quoi encore? )
On ne peut pas aimer ce film, puisque son contenu est détestable. On ne peut cependant pas condamner le travail de Tommy O'Haver qui, dans l'ensemble, livre un film indépendant de belle qualité, soigné, et qui, malgré l'aspect dérangeant de ces justifications apportées aux actes de Gertrude Baniszewski, tâche de rester le plus impartial possible, assumant cette plongée dans le passé comme un devoir de mémoire irrépressible, sans jamais verser dans le voyeurisme. Un bel hommage au calvert de cette fille qui, s'il ne peut réparer ce qui a été fait, alerte sur les dérives d'une société malade à la source, victime d'un puritanisme malsain, d'une violence refoulée, qui explose parfois, dans des débordements incontrôlables et écoeurants.
Retrouvez ce film dans la thématique Enlèvement et Kidnapping sur Cinétrafic.
(*) Il inaugure donc la catégorie "Inclassable"