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Le programme DvdTrafic me permet décidément de jeter un oeil à tout, même (et surtout) à des films auxquels je n'aurais a priori pas laissé leur chance. Ainsi, avec ce coffret Arte Films, disponible depuis le 21 septembre 2011 (le film a été diffusé sur la chaîne le 28 septembre 2011), je peux d'ores et déjà affirmer que je m'endormirais moins bête, ce soir. D'abord parce que, grosse avancée, je sais maintenant que les Brigades Rouges ne désignent pas une quelconque organisation terroriste russe, mais une organisation révolutionnaire armée italienne. Et ça fait quand même une sacrée différence, tout de suite.
Mosco Lévi Boucault retrace, dans ce film documentaire en deux parties (60mn et 66mn), l'histoire de ces Brigades Rouges, en s'appuyant sur les témoignages exclusifs de quatre des membres du commando ayant activement participé aux actions du groupe armé, et notamment à la plus mémorable d'entre elles: l'enlèvement, la séquestration et l'éxécution d'Aldo Moro, président de la Démocratie Chrétienne.
Le vote ne paie pas, prenons le fusil
Au gré des entretiens qu'il a pu avoir avec les membres du commando dit "Moro" (Moretti, Fiore, Gallinari, Morucci), Mosco Lévi Boucault dresse dans un premier temps, et en parallèle, tant le portrait de ces guerilleros engagés dans un bras de fer sans concessions avec le pouvoir en place, que celui d'une Italie chahutée par un soulèvement de l'opinion publique et des catégories ouvrières contre l'Etat. Sans ce rappel de la situation politique et sociale du pays à l'époque, impossible de comprendre et de cerner les motivations profondes des BR qui ont, en leur temps, marqué les esprits par leurs actions coups de poing.
Premier constat: le pays, en 1969, est une véritable poudrière. Le clivage entre les populations du nord et du sud, l'opposition de plus en plus virulente entre les couches prolétaires et le patronat (le groupe FIAT est ainsi cité de très nombreuses fois), les ouvriers pris à la gorge par un quotidien monotone dont l'avenir semble des plus sombres, tout mène l'Italie à une sorte d'effervescence contestataire menée par les syndicats et les étudiants, très vite amalgamée aux mouvements fascistes. De la grogne populaire se détache un groupuscule d'hommes (et de femmes) déterminés à changer les choses en profondeur, puisque les manifestations publiques ne donnent rien, en créant une organisation inédite. Leur but, soutenir les syndicats par des actions armées, revendiquer la justesse des offensives contre le pouvoir en place, sans pour autant verser dans le grabuge gratuit. Ceux-là veulent permettre à la révolution de renverser la tendance politique établie.
Second constat: l'incroyable "normalité" de ces révolutionnaires, des types lambdas animés par un réel idéal, une hargne contestataire qui fait directement écho au ras-le-bol général du peuple. Ils sont cultivés (ou du moins, se sont cultivés au fil du temps), intellectualisent le mouvement révolutionnaire, sont raisonnés, organisés, méthodiques. Ils se voient comme l'avant-garde armée de la révolution clandestine.
Le mouvement prend de plus en plus d'ampleur, les frappes sont de moins en moins anodines, les premiers attentats se dessinent, jusqu'à un point de rupture dans l'histoire des BR: l'ouverture d'une brêche politique avec l'enlèvement d'un juge, à l'occasion duquel ils sollicitent la libération de prisonniers politiques, asseyant du même coup leur crédibilité.
La révolution n'est pas un dîner mondain
La seconde partie se concentre sur le durcissement des méthodes des BR, et sur leur dernier coup d'éclat: l'enlèvement d'Aldo Moro. Relaté de l'intérieur, par ses propres ravisseurs, les faits prennent une toute autre ampleur, et revêtent un caractère particulier, certes partial, mais quasi dépassionné. Ils se confient, avec un certain détachement, mais en toute honnêteté, face caméra, et reviennent sur les ressorts de cette affaire à nulle autre pareille. Là encore, si les faits évoqués, retracés grâce aux archives, sont terribles, les entendre parler de leurs actions, de façon si posée, si censée, remet les choses en perspective - une perspective politique - et évite tout effet de "procès du peuple", donc du spectateur. Car on ne peut sans doute ni approuver ni condamner totalement les activités des Brigades Rouges, mais on ne peut juger de leur bienfondé, ni fustiger leurx choix. En définitive, on se trouve dans une position prévilégiée par rapport à l'opinion gauchiste de l'époque, incarnée par la narratrice, Chiara De Luca, qui ne sait quelle attitude adopter vis-à-vis de ces soldats de l'ombre devenus aux yeux de la majorité des indésirables notoires.
Si l'ensemble est passionnant, pour peu que l'on s'y interresse un tant soit peu, et s'il est parfaitement documenté, on peut néanmoins reprocher au documentaire quelques défauts mineurs, comme des coupures musicales maladroites, une présentation redondante des membres du commando dont le nom n'est pas suffisamment rappelé par la suite, et une chronologie des archives vidéos un peu déstabilisante. Ainsi, alterner de façon anarchique les JT concernant l'enlèvement d'Aldo Moro (en 1978) et des JT antérieurs à celui-ci donne un effet de fil rouge, certes, mais perd de son impact, puisqu'à contresens du reste des informations données.
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