En se basant sur un fait divers ayant eu lieu dans le milieu de la lutte, aux Etats-Unis dans les années 80, Benett Miller nous entraîne dans une relation ambigüe entre un entraîneur et son champion.
Foxcatcher est une histoire d'hommes. Entre John E. du Pont, magnat de l'industrie chimique, passionné de lutte, et Mark Schultz, champion olympique de la discipline aux J.O. de Los Angeles en 1988. Du Pont se prend de passion pour le jeune homme et décide de l'aider à atteindre ses objectifs : les championnats du monde 1989 et les J.O. de Séoul. Mais loin d'être un film documentaire sur la lutte, sport passionnant et malheureusement peu considéré , Foxcatcher fait partie de ces films qui dissèquent la relation entre deux caractères masculins forts, mentor et " élève " (on pense notamment à Mort à Venise*) . Avec elle s'ajoutent des ambiguïtés : le pouvoir qu'un homme plus âgé peut avoir sur un élève parfois vulnérable, qui broie le plus jeune et galvanise le plus vieux , l'homosexualité tacite, inavouée et torturée, qui ronge le mentor.
Steve Carell, méconnaissable sous son faux nez et sa posture hautaine, assure avec brio le rôle de Du Pont. Tour à tour gentil et attentif, obsessionnel et incontrôlable (jusqu'à tirer un coup de revolver en plein entrainement), il maintient constamment l'ambiguïté dans la relation avec le lutteur. Bien qu'il n'ait plus à prouver quel grand acteur il est, il prend le risque de jouer un rôle dramatique, qui plus est fort peu sympathique. Sa prestation lui vaut d'ailleurs une nomination aux prochains Oscars. En face de lui, Channing Tatum et Mark Ruffalo jouent les frères Mark et Dave Schultz, tous deux champions de lutte. Les acteurs sont complémentaires : Tatum joue le plus jeune des frères , Mark, plus vulnérable, moins sûr de lui que son aîné Dave qu'interprète Ruffalo. La fragilité de Mark ouvre la porte à l'attention perverse de du Pont, tandis que la charisme et l'assurance de Dave l'en protègent. Tatum et Ruffalo sont intenses et forment avec Steve Carrel un trio puissant.
Pendant tout le film, on est impressionné par la maîtrise technique . Le film, implacable, presque sans musique, multiplie les plans fixes et larges pour les décors et les plans d'ensemble. La caméra se ressert et devient plus mobile pour coller aux combats de lutte, montrer les corps qui se heurtent. Le son est direct, sans fioriture, laisse la place aux ambiances, aux crissements des baskets sur le tapis. Les seules séquences bénéficiant de musique sont celles dans lesquelles nous voyons les chevaux de la mère de Du Pont. A l'exception d'une dernière scène de lutte, dans laquelle Mark est devenu le " cheval de course " de Du Pont. David Bowie, que l'on entend pendant quelques secondes, est brutalement coupé dans la scène de liesse qui suit le titre de champion du monde de Mark. La musique adoucirait le film, le rendrait mièvre. Le choix de Miller est assumé et produit son effet. L'univers sonore et les plans fixes, la froideur du climat et du lieu d'entraînement de l'équipe Foxcatcher rendent le film glaçant. Peut-être trop glaçant. Difficile dans ce milieu où le travail est dur, où les corps et les esprits souffrent, de ressentir, de s'identifier, de se laisser aller. Quand on ressort du film, on sait que l'on a vu un grand film. Mais les émotions ressenties sont maigres. A la différences de Whiplash, dont le thème était assez similaire, dans la perversion de la relation, l'emprise du mentor et le surpassement de l'élève. On ressortait abasourdis, d'avoir pris cette musique, ces séquences de plein fouet. Ici, on reste froid, figé, sans trop savoir quoi ressentir. Foxcatcher est grand mais pas bouleversant.
Pauline R.
* Luchino Visconti, 1971.