Lavagne bientôt victime des camerouniaiseries ?

Publié le 22 mars 2012 par Atango

Nommé sur le banc des Lions Indomptables par la FECAFOOT dès le 26 octobre 2011, Denis Lavagne attendait depuis lors la signature de son contrat. Dans un pays normal, celle-ci serait intervenue immédiatement, ou en tout cas avant qu'il ne livre le moindre match.

Or, l'ancien manager de Cotonsports a amené l'équipe nationale à la victoire au tournoi de Marrakech et ensuite en Guinée-Bissau. Trois matches, aucune défaite, un bilan plutôt positif à mettre à son actif, même si Rigobert Song a tout fait pour lui voler la vedette à Bissau le 29 février dernier.

En termes de comptabilité chronologique, voici donc cinq mois que Denis Lavagne attend que son contrat soit signé. Etant devenu à moitié camerounais à force de vivre chez nous, il prenait son mal en patience, sachant que les circuits administratifs à Yaoundé sont longs, complexes et tortueux.

Finalement, après avoir mis 140 jours pour parcourir les 600 mètres qui séparent le ministère des sports de l'immeuble Etoile (siège du Premier des ministres camerounais), le dossier de recrutement du sieur Denis risque d'achever sa vie sous forme d'emballage pour beignets, dans l'une des nombreuses gargotes qui se serrent aux pieds du quartier administratif d'Ongola.


Tout ça parce que monsieur le premier ministre, qui doit avoir du temps à perdre, a décidé de venir mettre son nez dans l'affaire. Au Cameroun, quand les autorités mettent leur nez dans vos affaires, c'est toujours à vos dépens. La hiérarchie administrative étant ce qu'elle est, le Pommier Sinistre a demandé à son Secrétaire Général (Secrétaire du Chef, mais Général de ses subordonnés) de demander au ministre des Sports si Lavagne méritait de poser son postérieur sur le banc des Lions jadis Indomptables.

Notre ministre des Sports actuel s'appelle Garoua, ça ne s'invente pas, et ça ne l'empêche pas de se prendre pour Ponce Pilate. Avant de se laver les mains de l'affaire, il a quand même refilé la patate chaude à la DTN, qui n'en revient toujours pas de l'honneur qui lui a été ainsi fait. Rappelons à tout hasard que le rôle de cette institution, qui s'endormait tranquillement sous sa poussière, est de donner son avis sur les aspects techniques de notre football. En principe.

D'après , les têtes grises de la DTN l'ont joué style Cour Suprême de Mexico : la moitié pour Lavagne, l'autre moitié contre, et le chef ni pour ni contre. Dans ces cas-là, ceux qui sont contre finissent toujours par l'emporter. Le rapport remis par Jean-Manga Onguéné s'avère donc ultra négatif pour Denis Lavagne. Motif officiel de la sévérité du conseil de classe : carence de diplôme.

En réalité, révèle , les juges suprêmes de la DTN étaient tellement surpris d'être sollicités (rappelons qu'ils sont là pour ça) qu'ils ont décidé de ne pas donner d'avis contraire à ce que voulaient entendre les chefs, de crainte de ne plus jamais être mis à contribution. D'après cette thèse, Denis Lavagne serait sacrifié sur l'autel de la realpolitik camerounaise, qui n'en finit plus de compter ses victimes.


Heureusement que cette deuxième hypothèse, bassement cynique soit dit en passant, existe, car l'argument du manque de diplôme est juste risible, même s'il n'est pas étonnant dans un pays où le parchemin demeure le sésame absolu. C'est simple : dans les sociétés pragmatiques, la compétence est jugée sur les réalisations et les résultats, voire sur la motivation ; au Cameroun, cet endroit du monde où l'on trouve autant de pragmatisme que de neige dans les rues, le diplôme suffit (ou ne suffit pas, dans le cas d'espèce).

L'enjeu doit également être pris en compte : que veut dire entraîner les Lions Indomptables en ce moment ? Il s'agit simplement de gérer la convalescence d'un ex grand d'Afrique, tombé dans les tréfonds du classement FIFA, absent de la dernière CAN, humilié urbi et orbi. Un lion malade en somme. Dans cette situation, la DTN est mal inspirée de parler, à la suite de Roger Milla, d'une quelconque "grandeur" des Lions Indomptables dont Denis Lavagne ne serait pas digne. Et pourquoi ne pas demander à Pep Guardiola et à José Mourinho quels sont leurs projets à moyen terme ?

Car voilà l'autre mal camerounais : la misère du présent, jamais assumée, est toujours maquillée sous le fard nostalgique du glorieux passé, et barbouillé du mascara d'un très grand futur fantasmé. La vérité, c'est que les Lions Indomptables d'aujourd'hui valent moins que le Botswana, et que toute renaissance doit commencer par accepter, assumer et revendiquer cette place. Pas de fin à la crise de confiance sans la conscience de cette crise.

On les voit venir avec leurs gros sabots : Lavagne parti (même pas viré, puisqu'il ne fut jamais embauché), les tractations vont recommencer pour lui trouver un remplaçant. Le cirque tropical va prendre son temps, jusqu'à ce que l'on recrute à prix d'or un troisième couteau européen, à qui l'on demandera de faire un petit miracle à quelques jours de la CAN 2013. Ensuite, on va soigneusement lui savonner la planche, et on finira par le renvoyer pour mauvais résultats, avec à la clé une indemnité bien immorale pour un pays pauvre très endetté. Voilà des années que la même pièce de mauvais goût nous est jouée, avec un scénario écrit par des gens sur-diplômés.

Et c'est bien ça le problème.