Je suis trop jeune pour avoir vécu la CAN 1972 à Yaoundé, qui vit le Cameroun éliminé à domicile par le Congo en demi-finale. Néanmoins, mes aînés m'ont raconté quel traumatisme ce fut, mais tout cela était pour moi une vieille histoire en noir et blanc.
Par contre, je suis assez vieux pour avoir vécu l'âge d'or des Lions Indomptables. J'étais déjà suffisamment conscient pour vivre et savourer la qualification et le parcours à la Coupe du monde 1982. J'ai vigoureusement fêté la victoire à la CAN ivoirienne de 1984, vibré lors du parcours de la CAN égyptienne de 1986 (finaliste malheureux), et reçu comme une évidence la victoire à la CAN marocaine de 1988.
La Coupe du Monde de 1990 arrivait dans la foulée comme un feu d'artifice, et personne alors ne doutait qu'il ne s'agissait que d'un début et que le Cameroun serait un grand mondial dans la décade. Bon, on se contenta finalement d'être un grand en Afrique, après notamment un premier passage à vide tout au long des nineties.
En 1997, en panne avec la sélection, Henri Depireux exhortait les mères camerounaises à donner au plus vite le jour à un nouveau Roger Milla, ignorant que Christine Eto'o avait fait le boulot 16 ans auparavant. Après une CAN burkinabè en demi-teinte, les Lions entamaient une ultime phase triomphante, domptant deux fois de suite le trophée continental (2000 et 2002) et s'adjudjant au passage la médaille d'or olympique à Sydney.
Et puis vint 2003 et la Coupe des Confédérations de triste mémoire, qui nous ravit en même temps Marc-Vivien Foé et notre baraka. Depuis, c'est la lente descente aux enfers, qui a aboutit aux dernières péripéties : suspension de Samuel Eto'o, refus de l'intéressé de revenir ensuite, déculottée à Praia qui n'a surpris que ceux qui ne suivent pas le Cameroun depuis assez longtemps, limogeage de Denis Lavagne, convocation "politique" d'Eto'o avec à la clé l'injonction de faire la paix avec Song-l'aîné, élimination à Yaoundé, et charivari médiatique à l'encan.
Denis Lavagne sur BEIN Sports
Samuel Eto'o au Canal Football Club
Denis Lavagne a cru bon de se répandre dans les colonnes de Jeune-Afrique, puis sur le plateau de BEIN Sports. Son argumentaire était risible et facilement démontable. Le reportage de l'envoyé spécial de la chaîne qatarie quant à lui était clairement à charge. Voici quelques arguments et contre-arguments qui auraient pu être opposés si le format de l'émission avait permis la contradiction :
- l'argument du conflit politique intra-camerounais nord-sud passe facilement auprès d'un public français pour qui l'Afrique est juste un ramassis de tribus qui se mangent entre elles, mais il est très léger et complètement erroné. Mohamed Iya a succédé à Issa Hayatou, qui était déjà natif de Garoua et Président de la Fédération, donc. Nous avons plutôt à faire à un conflit entre le Ministère des Sports (dont l'essentiel de la politique est de s'occuper des Lions Indomptables, généreux pourvoyeurs de missions en Occident et de visibilité politique) et la FECAFOOT. Or, le ministre actuel est originaire de Garoua, et pousse même l'esprit d'appartenance à sa région jusqu'à s'appeler... Adoum Garoua. Où est donc le conflit nord-sud là où un natif de Garoua est mis au placard par un dénommé Garoua, originaire de Garoua, ville du Nord-Cameroun ?
- Denis Lavagne évoque la dégringolade du Cameroun au classement FIFA, et prétend exploiter cette donnée pour établir le bilan de Samuel Eto'o en tant que capitaine. C'est oublier trop facilement qu'un capitaine, par ailleurs suspendu pendant quasi une année, soit un tiers de son "mandat", n'est qu'un joueur, et ne peut donc être comptable des résultats d'une équipe.
- L'auteur du reportage prétend n'avoir rien transformé, ce qui au mieux relève de la naïveté, au pire est une forme d'escroquerie intellectuelle. Lorsque vous prenez des images et que vous les montez pour les diffuser ensuite, vous transformez nécessairement la réalité. On se méfiera donc de celui qui déclare d'emblée qu'il n'a rien transformé. Et on ne s'étonnera pas de l'entendre ensuite présenter l'intervention d'Eto'o à la suite d'Akono comme une prise de parole intempestive, alors que dans le reportage on voit le capitaine qui lève la main, et on l'entend bel et bien dire "s'il vous plaît, coach", avant de prendre la parole.
- Denis Lavagne revient ensuite sur sa fonction de sélectionneur et sur les difficultés qu'il a rencontrées. Bon, comme nous le disions déjà sur ces mêmes colonnes au moment de sa nomination, il connaissait suffisamment le Cameroun pour savoir ce qui l'attendait. Il est le dernier à pouvoir dire qu'il n'était pas averti des moeurs locales.
Samuel Eto'o, à défaut ou en attendant un droit de réponse chez BEIN Sport, a pour sa part honoré une invitation du Canal Football Club. Entre une ou deux sorties typiques du personnage ("Samuel, il est comme ça", dirait Makoun), ce qui ressort, et avec quoi je suis d'accord, c'est cette vérité toute simple : en sport, seul le résultat sur le terrain fait foi.
Nous sommes aujourd'hui en panne, malgré une génération de joueurs talentueuse, parce que tout le monde n'accepte pas cette simple vérité. Voici quelques applications de ce principe de la Vérité du Terrain :
- Rigobert Song a perdu son brassard en 2010 en même temps qu'il perdait sa place de titulaire, et cela parce que, sur le terrain, l'observateur honnête voyait bien qu'il n'avait plus le niveau requis pour tenir durablement son poste. Vérité du terrain.
- Samuel Eto'o est respecté et acclamé par tous les connaisseurs du football, malgré sa propension à parler de lui-même à la troisième personne et le fait que, décidément, son prénom n'est pas Modeste. Pour cela, il n'a ni gagné une guerre, ni remporté une élection. Sa carrière, son talent, ses buts, ses trophées parlent pour lui. Vérité du terrain.
- Certains joueurs de l'Equipe Nationale boudent dans les coins, dit-on. La tutelle d'Eto'o leur pèse, ce que l'on peut comprendre. Mais ces professionnels ont eu la chance de prouver ce qu'ils valaient en l'absence d'Eto'o. Ils avaient l'occasion idéale de s'en débarrasser définitivement, ou au moins de l'affaiblir. Résultat : prestations bancales, puis débâcle à Praia. Vérité du terrain.
Bon, il semble que Song-l'aîné et Eto'o soient désormais réconciliés, ce que l'on souhaite vivement. Nous nous demandions déjà sur ces mêmes colonnes quel est ce conflit entre deux Africains qui ne puisse être résolu à l'africaine par les anciens ? Si nous Africains nous avons quelque chose à apporter au monde, n'est-ce pas, justement, notre capacité à régler les conflits par la palabre (au vrai sens de ce mot, et non au sens camerounais de "dispute") ? Tant mieux, donc, si ce point est réglé.
Autre satisfaction : la "Génération Fundesport" arrive bientôt aux affaires. Elle s'annonce comme la plus talentueuse et la mieux formée que la Cameroun ait jamais connue, et on ne peut que lui souhaiter d'éviter le syndrôme "Sol Béni", à l'ivoirienne. En tout cas, elle nous promet une équipe forte, technique et pourvoyeuse de joies diverses pour nous autres simples supporters de base.
Brésil 2014 est déjà à la porte, il serait temps que l'on commence à s'y préparer, et tout ce que nous attendons, c'est quelques signaux qui montreront que les choses commencent à bouger : des matches amicaux, un nettoyage de l'environnement immédiat de la Tanière, une solide et définitive mise au placard de l'équipe dirigeante de la Fédé, de bons choix de la part du sélectionneur (qui devrait un peu moins jouer les archéologues), et un peu d'humilité de la part des râleurs de la tanière, qui ont laissé passer leur chance.
Il n'y a que deux choses que j'ai arrêté de demander : un stade digne de ce nom et une presse professionnelle. Il faut se rendre à l'évidence, certaines choses n'arriveront jamais sous notre ciel équatorial.
De toute façon, je nous vois difficilement descendre plus bas.
Quoique, avec le Cameroun, le pire est toujours possible...