Nicolas Poussin (Les Andelys, 1594-Rome, 1665),
L'Institution de l'Eucharistie, 1647
Huile sur toile, 117 x 178 cm, National Gallery of Scotland
Sébastien Daucé est un musicien dont la ténacité ne peut que susciter l'admiration ; il n'a ainsi jamais caché le profond intérêt qu'il porte à la musique d'Étienne Moulinié et sa volonté de lui consacrer un enregistrement dès que l'occasion lui en serait donnée. Fort du succès fracassant de son premier disque pour Harmonia Mundi dédié à Charpentier, l'Ensemble Correspondances nous propose donc de découvrir le pan sacré de la production du compositeur de Gaston d'Orléans, finalement peu régulièrement servie au disque, dans une anthologie intitulée Meslanges pour la Chapelle d'un Prince.
L'art de Mouliné, né en 1599 dans une famille languedocienne, se nourrit à plusieurs sources entre lesquelles ses Meslanges de sujets chrestiens..., sortis des presses de Jacques de Senlecque le 7 décembre 1657, opèrent une synthèse absolument passionnante. Le soin méticuleux apporté à la présentation matérielle d'un recueil qui comporte nombre de jolies initiales ornées, voire historiées, le rattachant à la grande tradition des manuscrits musicaux
et pour lequel l'imprimeur fondit certains caractères nouveaux, constitue un des indices de l'importance qu'il revêtait aux yeux de son auteur, entré en 1627 au service de Gaston d'Orléans, frère du roi, en qualité de chef de sa Musique. S'il avait reçu une formation tout ce qu'il y a de plus traditionnel à la maîtrise de la cathédrale de Narbonne, c'est dans un tout autre domaine qu'il s'illustra à son arrivée à Paris où son frère aîné Antoine, chantre de la Musique de la Chambre du roi, le fit venir au début des années 1620 : l'air de cour. La renommée qu'il y gagna favorisa grandement son élévation et il continua d'ailleurs à fréquenter le genre jusque fort tard dans sa carrière, sa dernière contribution datant de 1668, alors que la mort de son protecteur, en 1660, l'avait conduit à quitter la capitale pour devenir maître de musique des états de Languedoc, un poste qu'il conserva jusqu'à sa mort en 1676. Jusque vers 1650, date à laquelle Moulinié acheva la composition de ses Meslanges puisqu'il obtint pour eux un privilège royal en 1651, la Musique de Monsieur se devait naturellement d'être le reflet de la magnificence de ce prince et comportait deux pages, huit chanteurs adultes, un violiste et deux luthistes. Après cette date, l'effectif de cet ordinaire, qui pouvait, selon les occasions, se trouver substantiellement étoffé, fut réduit à un chanteur par partie, sans doute par la nécessité de restreindre un train que l'engagement hasardeux d'un duc qui se rêvait roi et n'hésitait pas, pour flatter ses ambitions, à se faire conspirateur, dans les tumultes de la Fronde imposait.Sébastien Daucé inscrit fort judicieusement son interprétation des Meslanges dans la période la plus florissante de cette Chapelle en proposant une lecture qui évoque, par l'ensemble vocal et instrumental fourni qu'elle convoque, l'opulence de la cour de Gaston d'Orléans. Outre les pièces de Moulinié, le chef a eu l'excellente idée d'inclure dans son programme des œuvres de compositeurs que ce dernier a immanquablement côtoyé, qu'il s'agisse d'Antoine Boësset - superbes Popule meus et Pie Jesu, pleins d'une contrition dont la suavité ponctuée d'accents théâtraux (sur " responde ", " flagellavi "/" flagellatum ", par exemple)
pénètre l'âme - ou de François de Chancy et de Louis Constantin, tous deux représentés par des pièces instrumentales dont l'humeur épanouie n'est jamais sans s'accompagner de quelques clairs-obscurs qui leur permettent de demeurer dans le ton de ce programme sacré. Les motets de Moulinié, s'ils respectent, par la netteté et l'absence de grandiloquence de leur composition, la volonté de leur auteur, exprimée dans la préface du recueil, de " purifier la musique et la rendre toute chaste " comme la piété de sa dédicataire, Marguerite de Lorraine, duchesse d'Orléans, se ressentent du double héritage dont ils sont le fruit et font entendre, sur le terreau d'une polyphonie " à l'ancienne " parfaitement maîtrisée, des ornements et des madrigalismes directement issus de l'air de cour dont l'emploi vise à renforcer l'expression, tout comme les alternances entre solistes, eux-même diversement regroupés, et tutti, contribuent, pour leur part, à dynamiser considérablement le discours. En tournant le dos, grâce à ces éléments d'un langage " moderne ", à un style par trop sévère, Moulinié parvient, sans jamais hypothéquer la portée spirituelle de textes méticuleusement choisis et agencés par ses soins - car ce recueil peut aussi, de ce point de vue, être envisagé comme un acte de foi personnel -, et fidèle en ceci aux préceptes de la contre-Réforme, à parer ses motets de couleurs séduisantes propres, par l'intercession de la beauté, à exciter la dévotion de l'auditeur, d'hier et peut-être d'aujourd'hui.Tout nouvel enregistrement de Correspondances suscite, chez ceux qui goûtent la manière toute de raffinement et de retenue de cet ensemble, une attente que la réussite de ses précédentes réalisations ne fait que renforcer. On sait donc infiniment gré à Sébastien Daucé et à ses musiciens de ne pas nous décevoir avec ces Meslanges dont on sent, dès la première écoute, à quel point le projet de les servir leur tenait à cœur. Ceux qui reprochent aux lectures de Correspondances d'être fâchées avec la théâtralité, voire avec l'expressivité, en seront ici pour leurs frais - outre les deux pièces de Boësset déjà citées, les Litanies de la Vierge sont, entre autres, un grand moment de ce point de vue -, car il n'est pas un instant de cette anthologie qui ne soit profondément investi par les chanteurs comme par les instrumentistes avec autant de ferveur que de maîtrise.
Même si on relève très ponctuellement, comme dans Ego flos campi, quelques minimes scories de mise en place (coexistence, dans la même phrase, de la prononciation gallicane et romaine du latin), elles sont bien vite oubliées devant la clarté des lignes, soulignée par une prise de son bien équilibrée, la fluidité globale et l'éloquence du chant ainsi que par l'efficace discrétion des ornements. L'avantage procuré par la stabilité de l'effectif dirigé par Sébastien Daucé est plus que jamais perceptible dans ces pièces dont la dimension intimiste exige de grandes qualités de cohésion et d'écoute mutuelle ; elles sont patentes ici, et les musiciens, sans rien renier de leur individualité, vont tous dans la même direction, ce qui permet à leur prestation de gagner une densité et une force qui serait peut-être plus difficile à obtenir avec une troupe plus disparate. Il faut dire que cette dernière est menée par un chef qui a pris le temps de mûrir son projet et conduit ses troupes avec une intelligence et une sensibilité indéniables qui trouvent leur aboutissement dans une attention envers les mots tout à fait remarquable.Correspondances confirme donc une nouvelle fois, avec ce disque consacré aux Meslanges de Moulinié, qu'il est aujourd'hui un ambassadeur de tout premier plan pour le répertoire sacré du XVII e siècle français dont il sait comme bien peu retrouver les couleurs et le ton justes, loin de la fadeur comme de l'outrance. On espère que le public saura faire à cette anthologie l'excellent accueil que ses qualités méritent afin que la courageuse aventure de ses musiciens puisse se poursuivre longtemps encore.
Étienne Moulinié (1599-1676), Meslanges pour la Chapelle d'un Prince, Antoine Boësset (1586-1643), Jesu nostra redemptio, Popule meus, Pie Jesu, François de Chancy (c.1600-1656), deux Allemandes, Louis Constantin (c.1585-1657), La Pacifique
1 CD [durée totale : 66'02"] Harmonia Mundi HMC 902194. Incontournable de Passée des arts. Ce disque peut être acheté sous forme physique en suivant ce lien ou au format numérique sur Qobuz.com.
1. Cantate Domino, motet. A cinq
2. Veni sponsa mea, motet de la Vierge. A cinq
3. O dulce nomen, motet du nom de Jésus. A cinq
Illustrations complémentaires :
Anton Van Dyck (Anvers, 1599-Londres, 1641), Gaston de France, duc d'Orléans, 1634. Huile sur toile, 194 x 118 cm, Chantilly, musée Condé © RMN-GP/Harry Bréjat
Schelte Adams Bolswert (Bolsward, c.1586-Anvers, 1659) d'après Anton Van Dyck, Marguerite de Lorraine, duchesse d'Orléans, après 1634. Burin et eau-forte, 24,5 x 18 cm, Versailles, Château de Versailles et de Trianon
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