est autant un roman d'aventure captivant qu'une fresque historique. Nous sommes aux confins de l'empire soviétique, proche de l'Alaska où vivent, depuis des millénaires, Esquimaux, Inuits et Tchouktches dans une harmonie et un bon sens issu du besoin de survivre dans un milieu hostile et glacé.
Si ces tribus arrivent à vivre ensemble, cela n'a pas toujours été le cas. Il fut un temps où régnait la guerre et de nombreux morts venaient tacher la glace d'un sang aussi rouge d'une ethnie à l'autre. Un jour, ils en ont eu assez et ils ont décidé d'envoyer des enfants de chaque groupe chez les voisins, ainsi, ils ne se tireraient plus dessus. Les chasseurs de phoques qui avaient besoin des éleveurs de rennes, et inversement, purent à nouveau s'entendre et faire du troc : la graisse de phoque pour l'éclairage, les boyaux pour tresser des cordes et les rênes pour leur viande et leur peau, afin de confectionner les habits et les Yarangas (habitation traditionnelle tchouktche)
On passait de l'Alaska à la Russie sans y penser, car dans ce monde, seules les frontières naturelles arrêtaient les hommes.
Après la Deuxième Guerre mondiale, une fois le fascisme écrasé, Staline ordonna que les troupeaux de rennes du Grand Nord soient mis en commun dans les kolkhozes. Accusant les éleveurs d'exploiteurs, il les faisait enfermer dans des camps ou les faisait exécuter s'ils refusaient de se soumettre. Des membres du Parti devenaient éleveurs sans compétences et ruinaient le cheptel indispensable à la vie.
Les Américains devinrent le pire ennemi, le diable en personne ! Les familles furent séparées par les frontières imposées, adieu la libre circulation !
En 1947 à Ouelen, la ville la plus orientale de Sibérie, Anna Odintsava, une jeune étudiante en ethnologie dont les yeux sont d'un bleu semblable à ceux des huskies , débarque de Leningrad pour faire sa thèse de doctorat sur le peuple tchouktche. Elle ne souhaite pas faire son observation de l'extérieur comme l'ont fait, avant elle, de nombreux ethnologues reconnus.
" Je ne veux pas renouveler l'exploit scientifique de Margaret Mead. Je veux la dépasser et m'assimiler au peuple que j'étudie, chose qu'elle n'a pas réussi à faire. J'irai assurément plus loin qu'elle, je décrirai la vie d'un peuple primitif de l'intérieur et non du dehors ".
Alors, elle va se laisser tomber amoureuse d'un jeune Tchouktche étudiant lui aussi, qui rejoint son père, éleveur d'un grand troupeau de rennes, mais aussi chaman.
Anna va rapidement se marier avec Tanat et le pousser à partir avec son père qui refuse les ordres de Staline.
De là va commencer une immersion totale dans le mode de vie tchouktche, dure, ingrate, solitaire, mais en harmonie avec la nature, les rituels et l'équilibre du monde. Après de mois de nomadisation, d'adaptation, de notes dans un carnet sur la vie nomade, d'initiation, de questionnements et de doutes, Anna s'intégrera à ce mode de vie, mais la doctrine soviétique veille à ce que tout le monde entre dans le rang fixé par Staline !
Ce roman est aussi un témoignage sur l'extinction de la culture de ce peuple tchouktche par l'embrigadement, mais aussi par les effets de l'alcool.
Ce roman fait partie du fond de littérature étrangère d'Actes Sud qui a fait sa renommée.
L'étrangère aux yeux bleus, roman de Youri RYTKHEOU
Actes Sud - Babel Aventure - 2002 / 11 x 17,6 / 288 pages
traduit du russe par : Yves GAUTHIER