Beau panorama hier dressé par Georges Harter sur les arts des peuples lubaïsés.
Parmi eux, deux types de sculptures ont retenu mon attention.
La première est cette porteuse de coupe attribuée aux Zela, et ce probablement de par ses incroyables proportions : le corps orné de motifs de scarification s'étire en déployant de larges épaules au-dessus de hanches très étroites. De minuscules jambes complètent cette silhouette excessive.
Une patine rouge-brun rehausse les traits du visage et tranche avec la couleur noire du corps de la statue. Les yeux en amande nous offrent un regard vide ou plutôt, illuminé.
Cette disproportion dans les dimensions n'en font pas une oeuvre à part, pour preuve cette belle porteuse de coupe Luba (ci-dessous), mais il s'agit là d'une production d'un peuple assez méconnu des amateurs d'art africain de par le très faible nombre d'oeuvres qu'on a su leur attribuer.
(Une thèse de A. Boulanger en 1977 "Recherches sur la société et la religion zela", EPHE est le seul document conséquent sur le sujet).
Les jambes ressemblent réellement à deux petits boudins, mais quelle importance ! Quelle grâce ici rendue par un trait plus nerveux ! Le corps est longiligne, la poitrine jeune, le port de tête altier. La coupe n'est pas posée entre ses deux jambes mais semble suspendue.
Quoiqu'il en soit l'important n'est pas encore là puisque ces sculptures, propriétés de devins, sont des réceptacles : La figure féminine appelle les "esprits" à résider un court moment dans la coupe.
Le kaolin contenu dans ce réceptacle participe de ce rituel. Il sert à peindre le visage du devin et contribue à lui apporter la clairvoyance.
Verney Lovett Cameron écrit, dans le passage qui accompagne la gravure ci-dessus :
"Derrière lui (le devin) marchait une femme qui portait dans une calebasse l'idole dont il était le prêtre" (Cinq autres mediums arrivèrent ensuite ; quand ils furent tous arrivés, ils se placèrent en ligne) "étendirent leurs nattes devant eux, et y déposèrent leurs idoles et autres instruments d'imposture " (La séance de divination commença alors). "Quand (ils) prétendaient ne pas pouvoir répondre, les idoles étaient consultées ; l'un des féticheurs, ventriloque habile, donnait la solution attendue ; et les pauvres dupes croyaient la tenir de la bouche même des dieux."On retrouvera ce passage et de nombreuses informations sur ces réceptacles dans un intéressant article de Pierre Petit contenu dans l'ouvrage Objets-Signes d'Afrique, un ensemble de textes réunis par Luc de Heusch.
L'article a été mis en ligne sur le site CongoForum et est téléchargeable : Le kaolin sacré et les porteuses de coupe Luba du Shaba
Photo 1 : © Sotheby's 14 mai 2004
Photo 2 : Archives Musée Dapper, photo © Hugues Dubois.
Photo 3 : in Across Africa, Verney Lovett Cameron, 1881