Démolition sous astreinte d'une construction masquant la montagne

Publié le 16 août 2009 par Christophe Buffet


Ell e est ordonnée par cet arrêt :


"La SCI BOURGOGNE RISOUL est propriétaire d'un appartement situé dans l'immeuble "Les Soldanelles" qui jouxte l'immeuble "Le Valbel", sur la commune de Risoul.

Le 16 mai 1995, un arrêté municipal de la commune de Risoul a approuvé une déclaration de travaux, déposée le 18 avril 1995 par les copropriétaires de l'immeuble "Le Valbel" en vue de surélever la toiture de leur immeuble.

Par jugement du 9 mars 2000, confirmé le 10 février 2005 par la Cour Administrative d'Appel d'Aix en Provence, le Tribunal Administratif de Marseille a annulé cet arrêté municipal.

Par acte d'huissier en date du 28 août 2003, la SCI BOURGOGNE RISOUL et le Syndicat des copropriétaires de l'immeuble "Les Soldanelles" ont assigné le syndicat des copropriétaires de l'immeuble "Le Valbel" devant le Tribunal de Grande Instance de Gap aux fins de le voir condamner, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, à démolir l'intégralité des ouvrages et bâtiments construits illicitement sur l'immeuble "Le Valbel" sous astreinte de 2.000,00€ par jour à compter de la signification de la décision à intervenir et à leur payer les sommes de :


*20.000,00€ de dommages intérêts,
*2.000,00€ d'indemnité de procédure.
Par décision du 12 avril 2006, le Tribunal de Grande Instance de Gap a débouté la SCI BOURGOGNE RISOUL et le Syndicat des copropriétaires de l'immeuble "Les Soldanelles" de l'ensemble de leurs demandes et dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Par déclaration du 7 août 2006 la SCI BOURGOGNE RISOUL et le Syndicat des copropriétaires de l'immeuble "Les Soldanelles" ont relevé appel de cette décision.
Au dernier état de leurs écritures en date du 13 novembre 2007, la SCI BOURGOGNE RISOUL et le Syndicat des copropriétaires de l'immeuble "Les Soldanelles" sollicitent la réformation du jugement déféré et de condamner le Syndicat des copropriétaires de l'immeuble "Le Valbel" sous le bénéfice de l'exécution provisoire, à démolir l'intégralité des ouvrages et bâtiments construits illicitement sur l'immeuble "Le Valbel" sous astreinte de 2.000,00€ par jour à compter de la signification de la décision à intervenir et à leur payer les sommes de :


*20.000,00€ de dommages intérêts,
*2.000,00€ d'indemnité de procédure.
Au soutien de leurs prétentions, ils font valoir que :


1/leur action est parfaitement recevable eu égard :
* au fait que les travaux contestés ne sont pas achevés (article L 480-13 du Code de L'urbanisme),
*se fonde sur l'article L480-4 du Code de l'Urbanisme, l'article 1382 du Code Civil et sur les troubles anormaux du voisinage,


2/les ouvrages litigieux ont été élevés en contravention avec les règles de l'urbanisme :
* le régime de la déclaration de travaux était impropre en l'espèce car conformément à l'article L421-1 du Code de l'Urbanisme, un permis de construire est exigé pour les travaux réalisés sur les constructions existantes lorsqu'ils ont pour effet de changer la destination, de modifier leur aspect extérieur, leur volume ou de créer des niveaux supplémentaires,
*la commune a commis une erreur manifeste d'appréciation en accordant cette autorisation en violant les règles de l'article R 111-21 du Code susvisé, les travaux étant de nature à porter atteinte à l'environnement,
*l'Assemblée Générale de la Copropriété de l'immeuble "Le Valbel" n'a pas autorisé les travaux litigieux,
*les travaux litigieux ne sont pas conformes au PAZ dans ses articles 2&3 SU/ZCH du règlement du 2 mars 1976 relatifs à l'avis de l'architecte de l'aménagement et sur la hauteur des bâtiments collectifs,
*la construction non autorisée d'une surélévation de l'intégralité de l'immeuble "Le Valbel" sur plus de 2 étages constitue une faute délictuelle, permettant aux appelants de solliciter sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil, la démolition de l'ouvrage contesté,


3/les appelants justifient d'un préjudice extrêmement important du fait que la construction litigieuse de plus de 10 mètres de haut masque totalement la vue sur la montagne.

Par conclusions récapitulatives signifiées le 3 janvier 2008, le Syndicat des copropriétaires de l'immeuble "Le Valbel" demande de :
*dire et juger les appelants irrecevables en leur action,
*confirmer en tout état de cause le jugement déféré et condamner les appelants à lui payer une indemnité de procédure de 2.500,00€.

A l'appui de sa position, il fait valoir que :
*par application de l'article L480-13 du Code de l'Urbanisme qui dispose que l'action en responsabilité civile se prescrit par 5 ans, et les travaux contestés ayant été achevés en 1997, l'action des appelants introduite le 28 août 2003 est prescrite,
*les travaux, ayant été autorisés par arrêté municipal, même si cette autorisation a été ultérieurement annulée, étaient au moment de leur réalisation parfaitement réguliers et seule la responsabilité de la commune de Risoul est éventuellement engagée,
*les 2 juridictions administratives ayant statué, uniquement sur la légalité de l'arrêté municipal et non sur la responsabilité de la copropriété "Le Valbel", les appelants échouent à rapporter la preuve d'une infraction aux servitudes administratives,
*le constat de l'existence d'un préjudice est insuffisant, la Cour devant rechercher s'il existe une relation directe de cause à effet entre l'infraction à une règle d'urbanisme et le préjudice personnel outre le constat du caractère anormal des troubles du voisinage.

La clôture de la procédure est intervenue le 2 septembre 2008.

1/ sur la recevabilité de l'action de la SCI BOURGOGNE RISOUL :

Attendu que le Syndicat des copropriétaires de l'immeuble "Le Valbel" soutient qu'en raison de la domiciliation erronée de la SCI BOURGOGNE RISOUL dont l'adresse est 66 rue de Grignan à Marseille et non au 81 rue Jean Fiole à Marseille, celle-ci ne justifie pas de sa capacité juridique ;
Attendu que les 2 pièces versées aux débats sont insuffisantes pour retenir cette argumentation alors qu'il est parallèlement produit un extrait K bis identifiant parfaitement la SCI BOURGOGNE RISOUL ;

2/ sur l'application de l'article L480-13 du Code de l'Urbanisme :

Attendu que le premier juge a exactement relevé que cet article s'applique uniquement aux constructions édifiées conformément à un permis de construire ;
Qu'en l'espèce, la construction litigieuse ayant été réalisée sous le régime de la déclaration de travaux, le Syndicat des copropriétaires de l'immeuble "Le Valbel" ne peut se prévaloir d'aucune prescription quinquennale et les moyens des appelants fondés sur ces dispositions ne peuvent trouver à s'appliquer ;

3/ sur les violations des règles de l'urbanisme et l'application des dispositions de l'article 1382 du Code Civil :

Attendu qu'il est constant que le régime de la déclaration des travaux ne pouvait pas s'appliquer aux travaux litigieux;
Qu'ainsi que l'a pertinemment relevé le premier juge, il ressort du jugement du Tribunal Administratif de Marseille, que l'erreur manifeste d'appréciation ayant justifié l'annulation de l'arrêté municipal approuvant cette déclaration de travaux, doit être imputée à la seule Commune de Risoul ;
Que seule la responsabilité de la commune peut être recherchée y compris sur le défaut éventuel de demande du PV de l'Assemblée Générale avant la délivrance de l'autorisation sollicitée ;
Que cette responsabilité ne peut être recherchée dans la présente instance ;

Que le premier juge a estimé que la copropriété LE VALBEL, qui a exécuté les travaux en application de l'arrêté municipal d'approbation, n'avait commis aucune faute de ce chef;

Que toutefois et contrairement à la première instance, les appelants produisent un PV d'infraction au Code de l'Urbanisme en date du 25 septembre 1997 qui relève que le projet initial consistait en la création, sur la toiture terrasse originelle, d'une toiture à 2 versants reposant sur une ossature bois présentant respectivement pour l'aile Sud et l'aile Nord du bâtiment, les caractéristiques suivantes :
*hauteur initiale de 17 mètres portée à 24,52 mètres au niveau du faîtage et de 10,55 mètres à 18,50 mètres,
*dimensions 22,13 mètres x 16,02 mètres ; 354,52 m² et 19,81 mètres x 8,91 mètres ; 177,22m²,
*les descriptifs joints au dossier indiquaient une occupation intégrale, par des éléments de charpente de l'espace intérieur crée en interdisant ainsi son aménagement et une terrasse extérieure non accessible destinée à la récupération des neiges en périphérie de la structure susdite.

De l'extérieur du bâtiment, nous avons constaté la réalisation d'une surélévation en maçonnerie présentant sur 2 niveaux du pignon sud 5 percements (2 en partie inférieure, dimensions approximatives, largeur: 1,50 m et 0,60 m, hauteur 1 m ; 3 en partie supérieure largeur 0,60 m et 0,50 m, hauteur 0,80 m environ) et de très larges ouvertures sur les façades longitudinales, tous les percements situés en partie inférieure sont obturés précairement par des plaques métalliques.
Nous avons constaté à l'intérieur du volume crée l'absence d'éléments de charpente initialement déclarés et l'aménagement en cours d'exécution de cet espace. Celui-ci se compose d'une communication centrale type couloir de desserte, de plusieurs locaux limités par des séparations en maçonnerie dont certains comportent des dalles ou solives équipés de trémies ménageant des mezzanines ou duplex ;

Que l'assistant technique conclut en soulignant la nature et les caractéristiques des travaux qui modifient l'aspect extérieur, le volume et crée des niveaux supplémentaires ;

Qu'il est également versé aux débats, l'arrêté municipal en date du 22 octobre 1997 mettant en demeure la Copropriété LE VALBEL ainsi que les entrepreneurs et responsables de l'exécution des travaux de cesser immédiatement les travaux de construction litigieux.

Qu'il est ainsi démontré que la construction litigieuse qui consiste en une surélévation importante, non conforme à l'autorisation délivrée et continuée malgré mise en demeure d'interruption des travaux, constitue une faute imputable au Syndicat des copropriétaires de l'immeuble "Le Valbel" ;

Que cette surélévation sur 2 niveaux alors que l'immeuble litigieux comportait initialement 5 étages édifiés sur un rez-de-chaussée réservé à des commerces, confère à cette construction un aspect massif et une hauteur conséquente et en tout état de cause supérieure aux autres immeubles environnants ;

Que dès lors, l'élévation d'un tel ouvrage face à l'immeuble Les Soldanelles outre qu'il masque la vue sur la montagne ainsi que cela ressort des photographies et du constat d'huissier, est de nature à modifier la luminosité des appartements de la Copropriété Les Soldanelles ;

Que dès lors, les appelants démontrent un préjudice direct et personnel en lien de causalité avec la construction fautive par le Syndicat des copropriétaires de l'immeuble "Le Valbel" ;

Attendu par voie de conséquence, que le jugement déféré sera réformé ;

4/ sur les demandes en démolition et en dommages intérêts :

Attendu qu'il convient pour réparer le dommage des appelants de rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par la surélévation litigieuse et de replacer les appelants dans la situation où ils se seraient trouvés si l'acte dommageable ne s'était pas produit ;

Attendu que la réparation intégrale du dommage doit être mise en oeuvre ;
Que dès lors, seule la démolition de l'ouvrage litigieux est de nature à réparer intégralement le dommage subi par la SCI BOURGOGNE RISOUL et le Syndicat des copropriétaires de l'immeuble "Les Soldanelles" ;

Que cette démolition sera donc ordonnée et sous astreinte de 300,00€ par jour de retard après l'expiration d'un délai de 3 mois suivant la signification de la présente décision ;

Attendu toutefois que cette démolition ne répare pas le préjudice subi par les appelants depuis plus de 10 ans ;
Qu'il y a lieu en conséquence d'indemniser ce préjudice en condamnant le Syndicat des copropriétaires de l'immeuble "Le Valbel" à payer à la SCI BOURGOGNE RISOUL et au Syndicat des copropriétaires de l'immeuble "Les Soldanelles" des dommages intérêts d'un montant de 10.000,00€ ;

5/ sur les demandes accessoires :

Attendu que la Cour estime devoir faire application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

Attendu enfin, que le Syndicat des copropriétaires de l'immeuble "Le Valbel" sera condamné aux dépens qui seront recouvrés par l'avoué de ses adversaires, conformément à l'article 699 du Code de Procédure Civile.

LA COUR, statuant en audience publique, par arrêt contradictoire, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la Loi,

Infirme le jugement rendu le 12 avril 2006 par le Tribunal de Grande Instance de Gap,

Déclare les demandes de la SCI BOURGOGNE RISOUL et du Syndicat des copropriétaires de l'immeuble "Les Soldanelles" recevables,

Ordonne la démolition de la surélévation de l'immeuble LE VALBEL réalisée en 1997 et Condamne le Syndicat des copropriétaires de l'immeuble "Le Valbel" à y procéder sous astreinte de 300,00€par jour après l'expiration d'un délai de 3 mois suivant la signification de la présente décision,

Condamne le Syndicat des copropriétaires de l'immeuble "Le Valbel" à payer à la SCI BOURGOGNE RISOUL et au Syndicat des copropriétaires de l'immeuble "Les Soldanelles" des dommages intérêts d'un montant de 10.000,00€,

Condamne le Syndicat des copropriétaires de l'immeuble "Le Valbel" à payer à la SCI BOURGOGNE RISOUL et au Syndicat des copropriétaires de l'immeuble "Les Soldanelles" la somme de 2.000,00€ par application de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

Condamne le Syndicat des copropriétaires de l'immeuble "Le Valbel" aux dépens qui seront recouvrés par l'avoué de son adversaire, conformément à l'article 699 du Code de Procédure Civile."