L'espèce de bagarre de bistrot qui se profile au Front National aura, quoi qu'il en advienne, des conséquences intéressantes.
Le plus dérisoire dans cette affaire est que, pour la première fois, on ne voit pas un parti se déchirer à propos d'un désaccord sur la ligne politique. Au Front National, tout le monde est d'accord sur la nature du fond de commerce. La bisbille réside dans le modèle de marketting: faut-il annoncer la marchandise clairement ou l'affubler d'un emballage cadeau? Bref: faut-il dire tout haut ce que tous pensent tout bas... Ou pas?
Avant c'était la doctrine, et même le slogan. Plus maintenant.
On ne cesse d'aller d'option en option sur cet intéressant spectacle.
Première option : C'est une stratégie voulue... Les rares têtes pensantes de la maison ont imaginé qu'elles pourraient proposer deux entrées séparées pour canaliser des foules différentes vers la cour intérieure de l'entreprise familiale. Papy Jean Marie agiterait la carotte aux skinheads agités et autres aigris de la svastika pendant que derrière lui, la petite Marion assurerait une retape propre à émoustiller les piliers de comptoir.
Pendant ce temps, Marine, avec l'aide du seul diplômé de la maison, aurait ravalé la façade de la vieille caserne des anciens pour y attirer par la ruse et le boniment une foule qui craint un peu les excès xénophobes mais serait rassurée par la peinture fraîche, l'effort de présentation et le buffet campagnard.Seulement voilà : même si la ficelle est un peu grosse, sa kolossale finesse risque d'échapper quelque peu au gros des troupes qui, on l'a vu lors des micro-trottoir des électeurs potentiels et des tweets des candidats de choc, fait peu dans la nuance et risque de ne pas comprendre toute la subtilité du stratagème.
Ajoutons à cela la cohorte des chatouilleux de la matraque et des vieux aigris de la francisque qui va considérer que cette " stratégie de marketing " n'est rien d'autre qu'un dévoiement de la ligne sacro-sainte et fondamentale du parti et refusera de coopérer à la mascarade.
Ce qui fait qu'entre ceux qui n'auront rien compris et ceux qui n'auront pas voulu comprendre, la stratégie, -si c'en est une- risque bien de ne pas fonctionner et de déboucher sur un schisme. Une vraie rupture, avec insultes, coups sur la gueule, déballage public, mais aussi dispersion des acquis du parti et éparpillement des énergies.
Deuxième option : Ils sont vraiment fâchés. Les réalistes contre les dogmatiques. Chacun va se cramponner à sa côte de porc et le parti va exploser de la même manière, mais avec encore plus de désinvolture que dans l'option numéro un.
Cette explosion qui arrive est bénédiction pour la démocratie et la république... A condition que la santé du Menhir lui permette de se cramponner... Si Papy fait de la résistance assez fort et assez longtemps, chacun va regarder l'autre comme un schisme, et pendant l'étripatouillage, les indécis du bulletin de vote comprendront peut-être qu'ils avaient placé leurs espoirs sur une bande de gogos absolument pas crédible. Même la haine la plus bête a besoin d'un support. Si les gens qui l'incarnent s'entre-déchirent, la surenchère débordera au point que même les aveugles la verront peut-être.Bref, dans les deux options, ça va péter entre la droite extrême et l'extrême droite, et c'est tout bénef pour les boucs émissaires de service, qui arriveront peu-être à se faire oublier un peu pendant le match. Vas-y, mords-y œil, il n'en a plus qu'un, botte-lui le coccyx, il est déjà en mauvais état depuis la grande scène de la piscine.
Je propose qu'on prenne des paris. Que dans tous les bistros, au lieu de surenchérir sur les mosquées et le saucisson à la cantine scolaire, on se motive un peu pour le match. Un peu d'agitation fait toujours réfléchir.