Les technologies de réalité virtuelle voient défiler les initiatives depuis plusieurs années. Mais entre fuir le monde ou l’affronter, les applications semblent hésiter.
Quatre ans que dure la guerre en Syrie. 200 000 morts et 4 millions de réfugiés plus tard, les solutions pour sensibiliser les consciences se multiplient, sans toujours parvenir à leur objectif. D’où l’idée du réalisateur américain Chris Milk : utiliser la réalité virtuelle pour avertir sur la situation des réfugiés. Il a ainsi profité du Forum économique mondial de Davos en janvier puis d’une conférence récente à Vancouver pour dévoiler un film réalisé dans le camp de Zaatari en Jordanie qui regroupe près de 100 000 victimes du conflit. Baptisé Clouds over Sidra, le film suit la vie d’une petite fille de douze ans dans son quotidien. Avec une telle plongée à 360°, le réalisateur soutient que la situation est rendue « plus humaine ».
83,796 @Refugees live in #Zaatari now; 49.9%F 50.1%M. 57% youth 19.9% under 5. One household in 5 is headed by women pic.twitter.com/ikmuInYGgS
— Za'atari Camp (@ZaatariCamp) 26 Février 2015
Pour lui, les outils de réalité virtuelle sont l’avenir du journalisme. Ils permettent de s’immerger dans des conflits lointains, de vivre un problème à l’autre bout de la planète, bref d’affronter la réalité brute. Les lois de proximité qui faisaient en sorte qu’un mort à 100 mètres ait, aux yeux du public, plus d’importance que 100 morts dans un autre pays, en seraient presque bouleversées. Désormais tout serait proche.
La même philosophie d’affrontement brutale de la réalité conduit depuis les années 1990, de nombreux projets en psychothérapie. Les vétérans de guerre, les malades ou les victimes de traumatisme pouvaient ainsi faire face à une certaine réalité et affronter leurs soucis grâce à la réalité virtuelle. Cette idée est assez ancienne et elle se base sur plusieurs théories de la psychothérapie. Mais les critiques pleuvent contre ces procédés trop violents pour les patients. « Certaines personnes sont trop fragiles pour que l’on ajoute la stimulation de l’environnement qui va leur rappeler leur traumatisme » expliquait ainsi le professeur de psychiatrie Tracie Shea au Wall Street Journal
Si ce type d’initiatives sert a priori la santé, d’autres naissent sans desseins véritablement utiles. Dernière en date : l’idée d’appliquer ces technologies de réalité virtuelle aux astronautes grâce au développement de l’Oculus Rift. Loin de la terre ferme, les voyageurs de l’espace pourraient virtuellement accéder à la plage, à la montagne ou à leur foyer. Histoire d’apaiser le mal de l’espace ? À tel point que la technologie servirait finalement à échapper au monde bien plus qu’à l’affronter, au-delà du simple jeu.
C’est là une nouvelle étape franchie dans l’utilisation de la réalité virtuelle : non plus aider à appréhender le monde comme le tentent les thérapies mais échapper à son environnement immédiat. Il s’agit de l’inverse même de l’initiative de Chris Milk : la réalité virtuelle sert ici à fuir la réalité. C’est finalement tout le dilemme auquel font face les applications de cette technologie. Un dilemme illustré par sa dénomination même : entre monde réel et virtuel.