" Un opéra, c'est une histoire où un baryton fait tout pour empêcher un ténor de coucher avec une soprano " disait George Bernard Shaw. Dans
la Somnambule de Bellini, c'est grâce au baryton que le couple soprano-ténor se réconcilie finalement. Et c'est bien la seule originalité de ce livret famélique, abracadabrantesque et d'une niaiserie confondante que Felice Romani a emprunté à la trame d'un ballet pantomime.
L'Opéra de Paris semble prêt cette saison à toutes les concessions pour s'attacher les services des stars qui remplissent les salles. Jusqu'à ressusciter des spectacles surannés pour satisfaire leurs caprices (ce fut le cas, déjà avec Natalie Dessay, pour ), et jusqu'à importer de Vienne une production de la reprise de La Bohème de Jonathan Miller la Somnambule pensée pour et autour de la même Natalie Dessay, qui y a quasiment fait ses débuts dans le bel canto en 2001. Une production pas franchement ratée, mais franchement ennuyeuse.
La faute, d'abord, à un homme : Evelino Pido, le chef d'orchestre. Certes, celui que Natalie Dessay considère comme " son père " est un spécialiste du bel canto. Mais ses tempi traînant ne permettent jamais à une partition pour le moins inégale de décoller. Les temps faibles de l'œuvre, qui sont nombreux, s'étirent en longueur, tandis que l'intensité du reste est noyée par des effets d'attente, des points d'orgue sans fin, qui brisent tout l'allant d'une partition qui n'en est pas dépourvue.
La faute surtout à une mise en scène d'une indescriptible platitude. Les décors qui transportent ce drame villageois dans une sorte de station thermale de montagne ne sont pas laids, mais cette transposition, qui fonctionne très mal avec le livret (on rigole en entendant le comte chanter les charmes du village, son moulin et sa fontaine), n'est porteuse d'aucun regard nouveau sur cette œuvre champêtre et gnan-gnan : l'enthousiasme des villageois sonne toujours aussi faux, les allées et venues des protagonistes (épousera ? épousera pas ?) sont toujours aussi grotesques. Nul espoir de donner corps à la psychologie de ces personnages, caricatures d'eux-mêmes, que la mise en scène s'acharne à traiter au premier degré.
Soyons juste : Natalie Dessay ne manque ni d'atouts, ni de présence. Une agilité vocale sans égale, une technicité impeccable, une douceur et un velouté particulièrement touchants, on a sans doute affaire à une des grandes cantatrices de notre temps. Pour autant, je n'ai pas encore eu l'occasion d'être totalement convaincu par son virage belcantiste, et ce spectacle n'était pas de nature à me faire changer d'avis : si l'on ne peut qu'être impressionné par les pyrotechnies finales, les carences dans le grave et le manque d'ampleur général de la voix ne sont pas étrangers à l'impression générale de profonde futilité du spectacle.
Javier Camarena s'en tire convenablement dans le rôle exigeant d'Elvino, mais il ne parvient pas à donner la moindre crédibilité à ce personnage que ses revirements successifs rendent plus risible qu'émouvant. Très apprécié du public, le comte de Michele Pertusi fait une très belle entrée avec un " vi ravviso, o luoghi ameni " de grande classe ; le reste est moins enthousiasmant. Seul point noir de la distribution, la très médiocre Lisa de Marie-Adeline Henry : voix criarde, aigu claironnant, nuances inexistantes, la soprano française sert surtout de faire-valoir à Natalie Dessay.
La Sonnambula , c'est donc d'abord une déception, celle d'un spectacle promis comme l'un des clous de la saison de l'Opéra de Paris et qui en souligne au contraire les principales faiblesses : un retour de vedettes qui avaient un peu déserté Paris dans les derniers temps de l'ère Mortier (même si la Lucia de Dessay avait marqué les esprits il y a trois ans), mais au prix d'un net affadissement des mises en scène comme des choix de programmation. Le public semble ravi. On ne saurait contenter tout le monde.
La Sonnambula de Vincenzo Bellini à l'Opéra Bastille, jusqu'au 23 février 2010.