d'après CLAIR DE LUNE (1882 - b -) de Maupassant
Ce curé haïssait les femmes. Il détestait leur œuvre de damnation. Il méprisait leurs corps de perdition. À son avis, Dieu n'avait créé les femmes Que pour tenter Les hommes et les régenter. Une nièce vivait à ses côtés. Il voulait en faire une sœur de charité. Elle était jolie mais un peu excitée. Si l'abbé la sermonnait, Elle ricanait, Quand il se courrouçait, Elle l'embrassait. Un matin, Son sacristain Lui apprit : -" Votre nièce a un amant. " -" Ce n'est pas vrai, tu mens ! " -" Ils se retrouvent toutes les nuits Sur les bords de l'Eure Jusqu'à point d'heure. " Le prêtre demeura gonflé d'indignation. À sa fureur S'ajoutait l'exaspération Du père moral, du tuteur, Du chargé d'âme trompé, Joué, volé, dupé. Quand dix heures sonnèrent, Il prit sa canne à pointe de fer, La regarda en grimaçant, La fit tourner en moulinets menaçants Et sortit. Mais à l'extérieur, Il fut saisi d'un tel bonheur En contemplant la nuit estivale Baignée de lumière pâle. Il admirait tant cette œuvre divine Qu'il en oublia les ébats de sa nièce. -'' J'hallucine. Pourquoi Dieu a-t'il destiné La nuit au sommeil Alors qu'elle est plus Belle que la journée ? Pourquoi la lune était-elle plus Poétique que le soleil ? Pourquoi tant de séductions la nuit Alors que les hommes sont au lit ? Je ne comprends pas. '' Or il aperçut là-bas Deux ombres étendues sous les arbres Telles des gisants de marbre. Elles s'enlaçaient si tendrement Qu'elles semblaient un seul être. Le cœur battant, Le prêtre. Crut assister à une scène biblique Et entendre le Cantique des Cantiques. Pourquoi Dieu interdirait-il l'amour Puisqu'il l'entoure D'une splendeur aussi sacrée ? Alors l'abbé s'enfuit, presque honteux Comme s'il eût pénétré dans un saint lieu Où il n'avait pas le droit d'entrer.