Je me souviendrai de tout : de ta main rugueuse sur mes joues, de tes sourcils en bataille et des copeaux de bois qui trainaient toujours dans tes cheveux; de ta silhouette courbée descendant les marches de ton atelier ou penchée dans ton jardin; des étoiles dans ton regard quand nous revenions dans la maison après une trop longue absence; de ton sourire rieur quand tu nous appelais "ninette", de ta gentillesse infinie. Je me souviendrai de tout de toi, notre oncle.
Et j'oublierai les quelques semaines qui ont précédé ton départ, et de cet au-revoir qui était en fait un adieu. Oui; j'oublierai tout ça.
Puis j'apprendrai aussi à vivre cet 'après', sans toi, dernière sentinelle de notre enfance; à ne plus avoir la gorge nouée en passant devant cette maison aux volets désormais fermés où trainent encore tous ces fantômes et précieux souvenirs.
Et j'essayerai d'admettre que mon fils ne mettra jamais ses mains dans les tiennes pour aller voir les poules et les lapins ou ramasser les mûres dans ton jardin; que jamais il ne pourra aller se cacher dans les balles de pailles pour aller chercher tes oeufs ou ne montera dans un arbre pour cueillir les prunes mures... Oui j'essayerai.
Et même si la vie reprend son cours parce qu'il le faut bien, et que la douleur s'estompe dans les méandres du temps, est ce qu'il y a un moment où le chagrin cesse vraiment?
... ma bouteille à la mer...
Hier, je suis allée à la jardinerie acheter des pieds de tomates que je planterai dans mon jardin car je ne veux pas que mes enfants ne connaissent que les tomates industrielles, je veux qu'ils aient aussi ce rapport viscéral que j'ai avec la terre, et ce rapport intense avec des choses simples que tu as su me transmettre.
Aujourd'hui je me sens différente, vide, car chaque chose que je fais, je sais que tu ne la verras plus jamais, l'adulte en devenir que je suis, tu ne la connaitras pas, mes enfants, tu ne les verras pas grandir, il va falloir apprendre à gérer ce manque, mais je n'oublierai jamais...
Je sais que la prochaine fois que je reviendrai dans le berceau de mon enfance, je verrai la grande maison avec les volets fermés et le jardin en friche..... et cette pensée me brise le coeur.
Avec toi, c'est toute la page de mon enfance qui se referme et c'est dur, tellement dur.
Je garderai comme Véro, le souvenir de tes mains rugueuses, des tes cheveux et tes sourcils en bataille, ta droiture, ta discrétion, ton amour de la terre et ton amour du bois, ton grand sourire franc, accueillant et rassurant.
Je suis heureuse d'avoir pu être présente dans ces derniers moments comme tu as été présent tout au long de ma vie, mon oncle.... mais plus qu'un grand-père, comme un père, tu as veillé sur nous et comme ta fille je t'ai accompagné.
Je ne te dis pas au revoir, car je n'en ai pas le courage et car tu seras toujours présent dans mon coeur... il est des liens qui ne s'étiolent jamais.