Certains artistes établissent une ligne stricte entre vie privée et création : l'art dans l'atelier, la maison à la famille. Rien de tel chez Moutte, où le visiteur se trouve accueilli d'emblée au "parking privé", par une sculpture humanoïde perchée au sommet du mur ; mi-protectrice comme naguère les statues christiques des missionnaires placées en haut d'une colline ; mi-garantie d'un accueil chaleureux.
Et puis, à peine dépassé un gentil gardien de la porte, à la peinture verdie par le temps ; une fois visité l'atelier du bois, isolé pour protéger la maison de la poussière, chaque parterre propose un nouvel hôte : ici, dans les millepertuis, un bonhomme noir ; là, au pied d'un énorme lierre taillé en parapluie, un individu composite à la tête faite d'une pelle, riant à gorge déployée ; ailleurs, sous l'auvent de la terrasse, quatre personnages, dont la première sculpture jamais réalisée par Moutte : sans tête et aux membres tronqués, comme ébauchée pour toujours. Ici, là, ailleurs... d'autres... Car, outre les éléments "domestiques" dénichés dans les vide-greniers, ou produits par les arbres du jardin, il faut ajouter les trouvailles "sauvages" séchant sous quelque appentis, dans un vieux panier d'osier, sous une avancée du mur : cailloux récoltés au long des chemins ou galets au bord de la mer, écorces, bois, racines, os, coquillages, plumes... ; chaque objet prêt à être adapté à une nouvelle sculpture, à une peinture en relief.
Peut-on s'étonner d'une telle surabondance, si l'on songe que l'œuvre de cette artiste est tellement protéiforme ; qu'elle crée dans la démesure non par la taille des œuvres, mais par leur variété (minérales, animales, végétales...), leur aspect allant du portrait aux traits taillés littéralement à coups de serpes, ou au contraire longuement fignolés, au tableau gravé ou constitué d'éléments encollés
Pourtant, ce visiteur n'a encore rien vu, car la maison est une sorte de promenoir, allant de la femme réalisée entièrement en pommes de pin placées différemment pour générer des nuances sur la jupe, sur la poitrine grillagée, des tentacules de tuyau jaune s'échappant de ses oreilles... à un très grand tableau portant collages et photos de bébés en toutes positions, aux couleurs fanées, indiquant qu'il a dû accompagner la croissance des enfants... à un animal longiligne, doublant la rampe d'escalier réalisé en plages de haricots installés en ordre parfait, séparés par des collages perpendiculaires de fines lanières de cuir. Prouvant que si Moutte est capable d'arroser de projections de peintures les murs de sa salle de bain, elle peut aussi avoir une infinie patience pour réaliser quelque animal fantasmagorique.
Passées les chambres des enfants -des ados, plutôt- et celle de la maîtresse de maison, le visiteur parvient dans le domaine de la création finale : la pièce des collages, où attendent dans des cagettes, des milliers de billes, boutons, découpages de toutes sortes... la pièce des tissus où se côtoient vêtements intouchés voués à des sculptures en pieds comme son "Danseur" scintillant dans ses habits de lamé, et morceaux d'étoffes en attente.
Tout cela, l'air à la fois tellement bien rangé et projetant une multitude de couleurs. Surprenant. Sympathique. Unique et original parce que reflétant les talents de l'artiste. Divers, pour lui permettre de passer de l'un à l'autre au gré de sa fantaisie.
Ainsi va Moutte, vivant parmi ses créations, dont le plus surprenant tient à ce qu'elles peuplent son logis, non pas comme "exposées", mais comme parties prenantes de la vie familiale, près de la cuisinière, sur l'étagère des assiettes, sur le bord du lavabo... Bref accompagnant les faits et gestes de la maisonnée, avec la même présence que l'invité qui, lui, ne fait que passer... Et qui, le matin venu, s'en détache avec peine.
La base de ce texte a été écrite sur la route du retour, dans l'émotion d'une maison amie à peine quittée.