Maradona par kusturica

Par Rob Gordon
Dans la dernière (et meilleure) scène de Maradona, l'ancien footballeur se retrouve face à un Manu Chao qui lui chante la chanson qu'il a écrite pour lui, "La vida es una tombola". Le cinéma d'Emir Kusturica aussi, visiblement, sauf qu'après une série de tickets gagnants ne nous restent que les tickets "perdu, retentez votre chance". Après le morne La vie est un miracle et le consternant Promets-moi, le revoici avec le doc qu'il a porté pendant trois ans, se consacrant à celui qui fut l'une des icônes des amateurs de football du siècle dernier. Et rate l'inratable, tel un attaquant aux pieds carrés ne parvenant pas à mettre le ballon dans le but alors que celui-ci lui est grand ouvert.
En premier lieu, le fan de foot va être très déçu, même si ce n'est pas forcément un mal : finalement, on cause assez peu ballon rond dans ce film. Seul un lourd focus sur la fameuse "main de Dieu" (un but scandaleusement inscrit de la main lors d'un match de Coupe du monde '86 face à l'Angleterre) et quelques horripilants florilèges de buts sur fond de "God save the queen" nous sont infligés. Car si le football est au second plan, c'est parce que Diego Armando Maradona a des tas de choses à dire et à démontrer. En résumé : Bush est un nazi (t-shirts à l'appui), Dieu est grand, la drogue c'est caca, et la vie c'est beau faut la croquer à pleines dents sinon quand on est mort on regrette et c'est trop tard. Un message qui concorde pleinement avec l'état d'esprit actuel de Kustu, devenu subitement un réalisateur béat, niais, désincarné, comme un Jean Becker dopé aux amphets.
Maradona, c'est non seulement un empilage de stéréotypes complètement éculés et débités au mètre cube par un gros joufflu, mais également une apologie de la laideur filmique. Images pixelisées, cadres plus qu'approximatifs, montage à la hache. On dirait que Kusturica n'a même pas réussi à obtenir des images correctes de ses propres films, dont il se sert pour "illustrer" un propos tentant vainement de mettre en parallèle la destinée de Maradona et celle des personnages de Papa est en voyage d'affaires et Te souviens-tu de Dolly Bell ?. Et même lorsqu'il tente de faire dans la grosse poilade, il se plante, à coups de séquences animées montrant le footballeur décapiter Thatcher, botter le cul de Bush, faire tomber le prince Charles de cheval... Alors, vraiment, à moins d'essayer de prendre cela au millième degré (ce qui permettra de faire passer l'anti-américanisme primaire, l'anti-européanisme primaire, l'anti-britannisme primaire et autres d'un Maradona aussi crédible en analyste politique qu'Alain Duhamel en avant-centre de la Seleçao), ce Maradona par Kusturica est à éviter. Par respect pour l'ex-footballeur. Pour l'ex-cinéaste. Ou pour vous-même.
2/10