Un film de Lucas Belvaux (2014 - France) avec Emilie Dequenne, Loïc Corbery
Délicat, sensible, triste et touchant.
L'histoire : Prof de philo, parisien et fier de l'être, Clément vient de rompre avec sa petite amie. Et il est muté à Arras... l'horreur ! Il ne se sent vraiment guère d'affinités avec la population locale, un peu plouc selon ses critères. Il s'intéresse pourtant à Jennifer, la petite coiffeuse du quartier, et même, il en tombe amoureux. Mais un philosophe parisien peut-il vraiment aimer pour de bon une jeune femme un peu trop blonde, un peu trop maquillée, qui aime le karaoke, Jennifer Aniston et Anna Gavalda ?
Mon avis : Et voilà, vous voyez bien que le cinéma français n'est pas mort ! Je ne suis pas toujours fan du travail de Lucas Belvaux mais ce film est une réussite. Raphaël Enthoven meets Miss Nord-Pas-de-Calais. Avec des personnages qui, malgré les stéréotypes pas toujours flatteurs que la vie leur a octroyés, restent terriblement attachants. Lui, parce qu'il est sans doute plus sincère qu'elle ne le croit ; elle, parce qu'elle est la joie de vivre personnifiée et sa détresse est d'autant plus cruelle... Non, je ne spoile pas ! Ce n'est pas une comédie romantique ! Et c'est ça qui est intéressant : ça commence tout pareil, deux êtres qui viennent de deux mondes opposés et qui s'aiment, mais... la réalité, la rationnalité, prennent le pas sur le (délicieux) fantasme à l'anglo-saxonne.
Le Français ne sait pas faire de comédie romantique... Il est sans doute d'un naturel trop ronchon, trop pessimiste, trop cérébral, trop cynique. Bien que nous soyons célébrés en tant que patrie de l'Amour et du Romantisme ! Etonnant. Parce que chez nous, les histoires d'amour finissent mal en général. Et ce n'est pas un défaut ; chacun son truc. Ce film en est l'illustration. C'est triste et beau à la fois.
L'intrigue est somme toute plutôt banale, mais la réalisation et l'interprétation lui donne du corps et un charme infini. Comme quoi... Le bon cinéma n'a pas de recette ; c'est juste une alchimie et son artiste.
Les acteurs sont géniaux. Loïc Corbery, que je ne connaissais pas, et qui a réellement de faux airs de Raphaël Enthoven, est parfait ; amoureux, mais pas trop ; sincère, mais sur la réserve ; il garde en lui une petite part de mépris que l'on voit dans son regard. Emilie Duquenne quant à elle est un rayon de soleil. Plus je la vois, plus je l'aime. Elle est extraordinaire dans ce film, elle irradie de joie de vivre, l'émotion à fleur de peau, elle est jolie, virevoltante, adorable, fraîche, et puis soudain si triste lorsqu'elle se met à douter, on a mal au ventre, littéralement, avec elle... Quel bonheur de voir des bons acteurs.
Et d'entendre de bons dialogues. Entre les réflexions très littéraires de Clément, souvent fort jolies et propices à la réflexion, et les réparties pragmatiques, pleines de bon sens populaire, de Jennifer... l'échange est intense. On y croit, on y croit... mais, comme je le disais plus haut, on n'est pas à Hollywood.
La fin est déconcertante et laisse un goût d'inachevé, une certaine peur... Mais n'oublions pas ce que Jennifer a chanté juste avant : I will survive !
Un très joli film que j'ai vraiment beaucoup aimé.
C'est aussi le cas de la critique et du public, dans leur large majorité. A part un ou deux qui n'ont pas apprécié, comme Critikat : "Le film est sclérosé dans une certaine prévisibilité difficile à contourner, tant Lucas Belvaux fige d’entrée de jeu ses personnages dans une perspective d’évolution inégale, comme pour nous convaincre que la petite {Rosetta} ne pourra jamais devenir une grande dame."
A noter que les chansons sont réellement interprétées par Emilie Dequenne (non, ce n'est pas une comédie musicale, mais Jennifer adore chanter, en boîte de nuit, ou chez elle).
Et n'oubliez pas d'admirer la belle ville d'Arras, et ses magnifiques pignons flamands.