Longtemps tenu pour un défi plus polémique que vital, le réchauffement climatique figurait en bonne place au menu du G8, tenu en Italie début juillet 2009. Les Etats-Unis, c'est notoire, ont toujours minimisé les dégâts provoqués par la pollution industrielle. Et quand Barack Obama y a annoncé sa volonté de réduire de moitié l'émission de gaz à effet de serre, c'est pour le fixer à l'horizon... 2050. Cet optimisme temporisateur de la Maison-Blanche n'est pas le reflet, tant s'en faut, de l'opinion outre-Atlantique sur le sujet. Tout au contraire. En Amérique, pays à la décontraction fort codifiée, parler de la pluie et du beau temps n'est plus le biais favori pour "rompre la glace" avec un inconnu. De nos jours, les considérations climatiques sont devenues un sujet grave et polémique, existentiel et... quasi-mystique.
Tsunami cataclysmiques, séismes ravageurs, désertification galopante, ouragans dantesques, typhons et inondations dévastateurs, autant de " colères " du ciel, fauchant des centaines de milliers d'âmes, donnent le tournis aux fils d'Adam. Dans cette atmosphère de catastrophe, on a tôt fait de réveiller des visions d'apocalypse tandis que s'affrontent les hypothèses des climatologues sur le réchauffement de la planète. La catastrophe climatique est désormais bien davantage qu'un sujet d'experts. C'est une politique, voire une idéologie, et un spectacle . Al Gore avec son film catastrophe " La vérité qui dérange " ou Yann Arthus-Bertrand avec son documentaire réquisitoire " Home " participent à ce climat général où se revivifient les grands récits théologiques selon lesquels les désordres du temps ne sont que les signes avant-coureurs de... la fin des temps.
Le mal en action est ainsi théâtralisé et ce climat eschatologique finit par envahir tout : religion, littérature, cinéma, médias, et même la science et la politique. N'est-ce pas aux Etats-Unis qu'est paru mi-1970 un des plus grands best-sellers de l'histoire de l'édition - 35 millions d'exemplaires vendus ! - entièrement voué à annoncer l'apocalypse, dont les ouragans, les guerres et " les vices " qui gangrènent les mégapoles modernes ne sont que les signes avant-coureur ? Intitulé " ", titre traduit en français par " ", l'ouvrage du gourou évangélique texan Hal Lindsey réinterprète les livres de la Bible - Ezéchiel, Daniel, l'Apocalypse de l'apôtre Jean - en désignant la création de l'Etat d'Israël en 1948 comme l'événement ayant entamé le compte à rebours d'une course à grands pas vers la fin des temps .
Un ouragan aux Caraïbes et une guerre au Moyen-Orient seraient donc autant de " signes " annonçant la conflagration suprême. Corrélation purement idéologique, cela va de soi, et que l'on doit au maître à penser de Hal Lindsay, le "théologien" John F. Walvoord , dans un ouvrage publié fin 1974 au titre fort évocateur : ". Il évoque Jésus répondant à un auditoire juif qui l'interrogeait à propos des " signes " avant-coureurs de la fin du monde : "Mais, vous savez les lire les signes. Vous regardez la couleur du ciel le soir et vous savez deviner le temps qu'il fera demain" (Matthieu, XVI). Du célèbre techno-thriller de Tom Clancey, " ", aux films apocalyptiques que sont , , , ou le récent , le créneau "fin du monde" est lucratif depuis plusieurs années dans l'industrie culturelle américaine.
Pas seulement l'industrie culturelle : le " rapport secret " sur les risques climatiques, commandé par le Pentagone fin 2003 (et qui vient de tomber dans le domaine public) regorge lui aussi de ces inquiétudes eschatologiques. Que dit donc ce document, fruit d'un intense travail collectif sollicitant climatologues, physiciens, océanologues, historiens, agronomes et géopoliticiens ? Qu'un " changement brusque et imminent " de température interviendrait dès 2010 - cela me rappelle une affiche populaire du début du XX° siècle fixant la fin du monde à 1910 ! - et se traduirait par une chute vertigineuse du mercure entraînant une réduction de la circulation thermohaline et de l'humidité des sols à cause de l'apparition de vents violents...
Effet immédiat, l'Europe vivra sous le signe d'un climat sec, venteux, " sibérien ". Du coup, elle devra affronter une double invasion, celle des peuples nordiques fuyant un climat devenu soudain polaire et celle des réfugiés du Sud, chassés par la chaleur et la disette. Les riches Européens iront se réfugier aux Etats-Unis, d'autres, moins argentés, fileront vers le Maghreb. En tout, un Européen sur dix abandonnera le Vieux Continent à son sort. Grelottante plus que jamais, la Russie s'alliera à l'Europe pour se prémunir contre la Chine, elle aussi frappée de plein fouet par un froid implacable et jetant son dévolu sur une Sibérie dépeuplée. La Corée du Sud se réunira à sa sœur du Nord, dotant ainsi le " pays du matin calme " d'une industrie de pointe et d'un arsenal atomique. Les Etats-Unis, eux, s'uniront au Canada et se barricaderont contre l'arrivée aussi soudaine que massive de réfugiés des Caraïbes.
Bilan, la production mondiale de nourriture se retrouvera très au-dessous de la capacité de charge. L'Australie s'efforcera en vain de nourrir l'humanité afin de pallier les chutes alarmantes des récoltes dans les principaux greniers du globe, Russie, Argentine, Chine, Inde, Etats-Unis. La quête de l'eau douce et de la nourriture deviendra l'enjeu primordial des relations internationales, faisant voler en éclats les vieilles doctrines géostratégiques sur les alliances autour des " mêmes valeurs ". Le spectre de la guerre planera au-dessus des deux cents basins fluviaux traversant de multiples nations : douze pour le Danube, neuf pour le Nil, sept pour l'Amazone. Enfin, un conflit majeur ne manquera pas d'éclater entre... la France et l'Allemagne pour l'accès aux eaux du Rhin !
Voilà donc le décor planté, celui de la grande catastrophe, du péril imminent. Le tic-tac de la conflagration cosmique accompagne-t-il déjà la descente aux enfers ? L'Horloge de l'Apocalypse existe bel et bien, en tout cas, aux Etats-Unis, à Chicago. Cette " Doomsday Clock ", sur le cadran de laquelle minuit représente la fin du monde, a été inaugurée en 1947, suite aux bombardements atomiques de Nagasaki et Hiroshima. Un Bulletin des scientifiques atomistes tient à jour le minutage en fonction de l'actualité internationale. La fin du monde a été ainsi avancée et reculée dix-huit fois. La dernière fut en janvier 2007, suite au défi nucléaire lancé par l'Iran et la Corée du Nord , l'avant-dernière en 2005 suite au tsunami qui ravagea l'Asie du Sud Est. Les aiguilles sont actuellement réglées sur minuit moins cinq (23:55). Plus que cinq minutes avant la fin des temps !
Climat : les 5 dernières minutesPar
Slimane Zeghidour
Deux Ex Machina, 15 juillet 2009
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