l'Antéchrist" et l'hindouisme de "religion démoniaque" n'épargna pas même l'ex-Premier ministre israélien, Ariel Sharon, lequel, coupable d'avoir accompli le retrait d'Israël de la bande de Gaza, aurait été ainsi "puni par Dieu pour avoir voulu amputer et diviser la terre promise". Quant à la terre dévastée de Haïti, il semblerait que l'extrapolation de Pat Robertson ait pour origine l'histoire de Douty Boukman, un Noir de Jamaïque qui inspira la rébellion des esclaves et des "libres de couleur" ou affranchis de Haïti. Vénéré en tant que "hougan" -prêtre du vaudou, une religion syncrétiste importée d'Afrique- ce Spartacus des temps modernes organisa, la nuit du 14 août 1791, une cérémonie autour d'un cochon noir sacrifié dont les assistants, des esclaves en rupture de ban, burent le sang, un rite magique censé mettre chacun à l'abri des balles de fusil. Le rituel achevé, Douty Boukman incita les esclaves à attaquer partout les colons blancs français. Dix jours durant, l'île d'Hispaniola -dont Haïti n'est pas encore détachée-, "perle des Antilles", peuplée de 30 000 colons et de 600 000 esclaves, sera mise à feu et à sang, les insurgés n'épargnant ni les femmes ni les enfants. Tout aussi aveugle et impitoyable, la répression par les soldats français n'aboutit qu'à un court répit.
Taillés en pièces, leur " hougan " décapité et la tête exposée au public, les rebelles repartent en guerre, non plus pour la liberté, l'égalité et la fraternité -promises par la Révolution, y compris pour les esclaves- mais pour l'indépendance. Qui sera proclamée le 1804, ce qui fera de Haïti le premier Etat libre fondé par des Noirs, anciens esclaves de surcroît. Une autre "révolution" dont la France de Charles X ne prendra acte que moyennant des indemnités de 1 50 millions de francs or -l'équivalent de 21 milliards d'euros!- afin de dédommager les anciens colons ayant trouvé refuge à Saint-Domingue ou aux Etats-Unis. Une liberté très chèrement payée, et donc amplement méritée.
Canular indécent d'un cerveau détraqué face à l'indicible malheur d'un pays ou sinistre galéjade d'un cynique impénitent, au regard de l'émouvant élan de solidarité international qui s'est porté au secours d'une nation ébranlée ? On pourrait le penser, si ce n'est que Pat Robertson n'a à priori rien d'un hurluberlu isolé ni d'un histrion prêchant dans le désert. Il jouit, tout au contraire, d'une aura plus qu'enviable aux Etats-Unis et même au-delà. Prédicateur évangélique très écouté par le Tout- Washington, entrepreneur prospère à la tête d'un empire médiatique, militant politique à la droite du parti républicain -il en fut candidat à la Maison Blanche en 1988-, Marion Gordon Robertson, dit Pat, 80 ans bon pied bon œil, prêche dans une émission culte de télévision -"The Club 700"- taillée sur mesure pour lui.
Emission phare de la holding Christian Broadcasting Network (CBN), "The Club 700" est diffusée à travers 200 pays et traduites en plus de 70 langues, chinois, hindi et arabe compris. La tribune idéale pour faire porter "urbi et orbi" la bonne parole. Aussi y a-t-il accouru dès l'annonce du séisme qui dévasta Haïti le 12 janvier pour y aller de son éditorial du jour. Sur un ton sibyllin, il évoque sans crier gare non une tragédie mais..."une bénédiction déguisée". Et d'enchaîner : "Il s'est passé quelque chose à Haïti, il y a longtemps, dont les gens de l'île préfèrent ne plus en parler... Vous savez, les Haïtiens vivaient sous la férule de Napoléon III* ou de je ne sais qui d'autre (Napoléon III, en fait, est né en 1808, soit 17 après l'événement auquel il est fait ici allusion !, ndlr). Ils se sont réunis et ont signé un pacte avec le Diable. Ils ont donc dit à Satan : nous te servirons toi, si tu nous aides à nous libérer du joug des Français". Conscient tout de même du caractère extravagant de son récit, Pat Robertson surenchérit : "C'est une histoire véridique, vous savez. Eh oui! Le Démon a répondu Ok, marché conclu. Et ils ont chassé les Français de l'île... Mais depuis ce temps-là, les Haïtiens sont maudits. Nous devons prier pour qu'ils se tournent vers Dieu". Via l'Eglise baptiste, par exemple, dont les missionnaires sont déjà à pied d'oeuvre à Port-au-Prince.
Nous reproduisons ici l'excellent article de Slimane Zeghidour paru sur son non moins excellent blog, Deus Ex machina, le 30 janvier dernier.
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