Chronique : « Le rapport de Brodeck (T1/2) »
scénario et dessin de Manu Larcenet, d’après le roman de Philippe Claudel,
Public conseillé : Adultes / grands adolescents
Style : Récit intime
Paru aux éditions Dargaud, le 10 avril 2015, 160 pages noir et blanc, 22.50 euros
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L’Histoire
Forêt profonde, montagne, nuit noire. Un homme arrive dans la taverne, sous les regards lourds des hommes du village. Un regard à la porte, Brodeck se rend compte que « l’Anderer » (l’autre) est mort. Même s’il ne venait que chercher un peu de Beurre, Brodeck se retrouve au centre du cercle. Sa mission : devenir le scribe, celui qui racontera l’histoire de l’autre et pourquoi il est mort ce soir-là…
Pourtant Brodeck n’est pas compteur. C’est un métier et pas le sien. Lui, il ne rédige que de brèves notices sur l’état des forêts, des chemins, des rivières.
Mais voilà, c’est comme ça ! il devient le détenteur, le conteur de l’histoire, en disant “Je”, comme pour ses rapports, en espérant que ceux qui liront le rapport comprennent et pardonnent…
Ce que j’en pense
Manu Larcenet est un de ces auteurs majeurs de la jeune génération. Apprécié des lecteurs, récompensé par les professionnels pour ses ouvrages tantôt comiques (“Le Retour à la terre”, “Donjon Parade”, “Une aventure rocambolesque de…”) , tantôt sérieux (“Blast”, “Le combat ordinaire”), il se ré-invente avec l’adaptation du roman éponyme de Philippe Claudel.
Dans une approche très “Roman graphique” (2 tomes de 160 pages, un grand format horizontal, du noir et blanc “pur jus”), il nous offre une oeuvre (désolé, je n’ai pas d’autres mots) “Coup de poing”, où le graphisme fort et puissant résonne avec un récit profondément dramatique.
Lourd, poisseux, sombre, c’est le moins que l’on puisse dire…
Dans son village montagnard, Brodeck est un des rares instruits du secteur. Ce qui le le désigne naturellement (par les autres gars) pour raconter la venue de l’étranger (L’Anderer) et surtout la pourquoi ils l’ont tué. Une situation d’autant plus difficile qu’il est (quasiment) le seul à ne pas avoir participé au meurtre. Doit-il rester neutre, factuel, ou comme chacun l’espère, faire de ce rapport une preuve à décharge et justifier ce meurtre de sang froid ?
Suivant les questionnements et les errances de Brodeck, Larcenet nous invite à suivre son enquête intime et poisseuse, jusqu’aux tréfonds de l’âme humaine.
Émaillant le récit de flash-backs bien lourds (sa détention dans un camp de prisonniers pendant la guerre), il invoque les démons des hommes et leurs pires cauchemars…
Autant l’affirmer, tout de suite : c’est lourd, c’est fort, ça fait mal à la tête et aux boyaux… et on ne sort pas indemne de cette lecture !
Coté Graphisme, j’ai été subjugué par le travail en noir et blanc de Manu Larcenet. Jusqu’à présent, j’avais surtout lu ses albums “comiques”. Même si “Blast” permettait d’entrevoir sa palette d’émotions et sa véritable maîtrise artistique, ce “Rapport des Brodeck” est d’un niveau 10 fois supérieur.
Très formel, (pur “noir et blanc”), son encrage fort et puissant, ses compositions impeccables, ses matières variées, sa gestion des masses blanches et noires, tout désigne un grand-grand dessinateur !
Impressionnant de maîtrise, mais sans jamais céder à la facilité, il s’impose une partition graphique dont je ne me suis toujours pas relevé…
L’encrage marqué aux hachures profondes qui définit le “style Larcenet” donne une expressivité folle à ces gueules. Sous son pinceau, qui se fait plus léger mais toujours aussi précis, la nature s’incarne. Belle, dangereuse, elle devient le reflet de ce monde cruel et sans remords…
Cet article fait parti de « La BD de la semaine », hébergé chez « Stephie » cette semaine.