Ce fut un grand succès de librairie lors de sa parution en 1929, amplifié par le film qui en fut tiré en 1932, avec Greta Garbo et Joan Crawford, et gagna un Oscar. Et ce roman – le premier du genre à entremêler les destins de plusieurs personnages qui ne devraient pas se croiser mais vivent un instant crucial de leur vie dans un palace de Berlin – n’a pas pris une ride. Encore une fois, je paie tribut à ma mère, qui eut 18 ans en 1932, et adorait ce livre.
Voici la Grusinskaya, danseuse étoile épuisée croulant sous les fards, qui va retrouver en une nuit l’énergie dans les bras d’un jeune loup avide d’argent à n’importe quel prix, le séduisant et fantasque – pilote d’avion et d’automobile rapide, et cambrioleur à ses heures - Baron von Geigern. Et puis Otto Kringelein, l’aide-comptable auquel les médecins ont prédit une mort très proche et qui a décidé de tout claquer dans l’intervalle. Il a choisi de séjourner au Grand Hôtel parce qu’il sait que doit y descendre le directeur général de la société où il travaille dans l’anonymat le plus minable depuis plus de vingt ans et qu’il est résolu à lui dire son fait. Car Preysing est un type faible et peu doué pour les affaires. Il a épousé la fille du patron, c’est son titre de gloire, mais les négociations de fusion avec une autre entreprise, qui doivent se tenir dans l’établissement ne se présentent pas bien …Il est fait appel à une secrétaire intérimaire, la délicieuse Flämmchen, « flammèche », 19 ans, qui cherche un emploi depuis un an et vend à l’occasion ses charmes pour s’acheter de jolies toilettes … Tout ce petit monde s’agite sous l’œil de verre du docteur Otternschag dont la moitié du visage a été détruit par une grenade pendant la guerre et passe sa vie dans le lobby, entre deux injections de morphine.
En quelques jours, le destin de ces personnages attachants va basculer : les uns trouvent l’amour, les autres la mort, le déshonneur ou le plaisir insoupçonné. La porte à tambour ne cesse de tourner : les uns rentrent, les autres sortent du cadre, la vie continue dans le huis clos vibrant d’un hôtel de luxe, à la veille du chaos de la Grande crise économique. On dirait des personnages d’Otto Dix avec leurs rictus et leurs yeux sans fond …
Une lecture passionnante, le regard prémonitoire sans indulgence d’une auteure hyper douée sur cette Allemagne qui va bientôt s’enfoncer dans l’horreur du totalitarisme.
Grand Hôtel – traduit de l’allemand par Gaston et Raymond Baccara – éditions Libretto – 314 p. 9,70€