Ayant subi une défaite décisive dans sa tentative d’empêcher d’autres pays de rejoindre la Banque asiatique d’investissements pour les infrastructures (AIIB) proposée par Pékin, Washington a essuyé un nouveau revers dans son projet pour dominer l’économie de l’Asie de l’Est, l’Accord de Partnariat Transpacifique (APT).
À Hawaii le mois dernier, après cinq ans de négociations, les pourparlers sur l’APT entre les 12 gouvernements concernés ont été rompus. Pour la troisième année de suite, la date limite fixée par la Maison Blanche passera sans accord international sur l’APT.
La principale pierre d’achoppement cette fois n’était pas les différences de longue date entre les Etats-Unis et le Japon sur l’automobile et l’agriculture, mais des doutes sur la capacité du président Barack Obama d’obtenir le soutien du Congrès américain pour l’APT.
Faussement présenté comme un accord de « libre-échange, » l’APT créerait en fait un vaste bloc dominé par l’Amérique. En contrepartie de l’accès privilégié accordé au marché américain, toujours le plus grand au monde, l’APT oblige ses membres à abolir tout obstacle juridique ou réglementaire à l’investissement américain et aux actions des sociétés américaines.
L’APT est une composante essentielle du « pivot vers l’Asie » par lequel Washington veut asseoir son hégémonie sur la région, y compris sur la Chine, qui jusqu’à présent est exclue du traité. Le « partenariat » vise à restructurer tous les aspects de la vie économique et sociale dans la région Asie-Pacifique dans l’intérêt de Wall Street et des grandes sociétés américaines, notamment les conglomérats de l’informatique, de la pharmacie et des médias.
Une offensive similaire est en cours pour intégrer l’Union européenne dans le Transatlantic Trade and Investment Partnership (Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, PTCI). Comme l’APT, le traité européen est discuté sous le sceau du secret. Des centaines de grandes sociétés du monde y participent, derrière le dos de la classe ouvrière internationale.
Obama déploie un discours antichinois flagrant pour tenter de vaincre l’opposition à l’APT parmi les démocrates et républicains au Congrès. Dans un entretien, il a déclaré: « Si nous ne écrivons pas les règles là-bas, la Chine les écrira, et les implications géopolitiques d’une telle situation signifie presque inévitablement que nous serions soit évincés, soit profondément défavorisés. Nos entreprises seraient désavantagées, nos travailleurs seraient désavantagés. »
Washington craint que d’autres puissances impérialistes, comme l’Allemagne, la Grande-Bretagne ou le Japon, ne renforcent leurs positions en Chine au détriment des Etats-Unis, si l’Amérique n’écrit pas « les règles » du commerce mondial au 21e siècle.
Sous le titre « Le deuxième tour dans la bataille de l’Amérique pour l’influence en Asie », David Pilling écrit dans le Financial Times de Londres : « la tentative de Washington d’organiser un boycott de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures mené par la Chine s’est transformée en farce, après que la Grande-Bretagne a rompu les rangs et que d’autres nations, de l’Allemagne à la Corée du Sud, se sont mises en quatre pour rejoindre la banque. Si la première tour a été une défaite pour l’Amérique, le deuxième est dans la balance. »
Pilling critique l’exclusion de la Chine par l’APT au motif que son économie était centralisée et planifiée. « Dans un exemple étrange de contorsion diplomatique, » écrit-il, « le Vietnam—un pays dont l’économie est planifiée de façon centralisée et truquée comme tout—est par contre considéré, lui, comme apte à l’entrée. »
Il ajoute que l’APT était « tout aussi susceptible d’irriter les alliés régionaux de l’Amérique que de les rassurer, » en raison de ses exigences intrusives, notamment le démantèlement des entreprises publiques, des restrictions sur les appels d’offres, de la règlementation financière, et des règles sur la protection des données.
La poussée agressive de Washington pour établir les blocs APT et PTCI marque un renversement de son rôle après la Deuxième Guerre mondiale, lorsque l’ascendant de l’industrie américaine lui permettait de championner la reconstruction de ses rivaux japonais et européens, dont il profitait pour développer des marchés pour ses exportations.
Aujourd’hui, alors que l’industrie américaine poursuit son déclin, son élite dirigeante dépend de plus en plus des activités parasitaires de Wall Street, del’exploitation des brevets de la Silicon Valley, de Hollywood et des compagnies pharmaceutiques et des contrats militaires. Ces intérêts rapaces bénéficieront le plus directement de l’APT.
De nombreux détails restent secrets, mais les groupes de pression qui soutiennent l’APT concentrent leurs efforts sur les mannes attendues. Mireya Solis du groupe de réflexion « Brookings Institution » a souligné certains avantages, tels que « l’internationalisation des services financiers, la protection de la propriété intellectuelle et de la gouvernance de l’économie de l’Internet. »
Grâce à l’accord, les groupes technologiques américaines pourraient se libérer de leurs obligations de stocker les données dans un pays donné. « Si nous allons servir un client en Malaisie, disons, depuis un centre de données à Singapour, les données doivent être en mesure d’aller et venir entre ces deux pays, » Brad Smith, l’avocat général de Microsoft, a déclaré au Wall Street Journal.
Les provisions « Investor-State Dispute Settlements » (RDIE – Règlement des différends entre investisseurs et États) sont au centre de l’APT. Elles permettent aux multinationales de poursuivre les Etats pour des pertes qui auraient été causées par des décisions officielles. WikiLeaks a publié un chapitre du traité APT pour démontrer que les entreprises pourraient contourner les tribunaux afin d’obtenir des dommages liés à « la règlementation de l’environnement, de la santé ou d’autres sujets. »
Outre les Etats-Unis et le Japon—qui sont de loin les deux plus grands partenaires—les autres participants à l’APT sont l’Australie, Brunei, le Canada, le Chili, la Malaisie, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, le Pérou, le Singapour et le Vietnam.
Beaucoup de ces pays pourraient refuser de faire les concessions nécessaires aux États-Unis, car Obama n’a pas pu obtenir le soutien du Congrès pour une proposition de loi du « Trade Promotion Authority » (l’Autorité de Promouvoir le Commerce – APC), afin qu’il puisse signer l’APT puis le faire ratifier par le Congrès avec une vote sur un simple «oui» ou «non». Sans l’APC, le Congrès pourrait imposer des amendements au pacte négocié, le rendant effectivement nul et non-avenu.
Selon le Japan Times, « Plusieurs partenaires, tels le Canada et le Japon, ont déclaré qu’ils ne dévoileraient leurs positions de négociation que lorsque le Congrès accorderait l’APC à l’administration Obama. Avec une élection présidentielle imminente aux États-Unis, un retardement supplémentaire crée un risque réel que l’APT soit retardé jusqu’en 2017. »
Une grande partie de la résistance du Congrès américain provient des lobbies protectionnistes, basés sur les industries nationales et sur leurs syndicats. L’administration Obama développe donc une campagne pour souligner les avantages escomptés pour les entreprises américaines.
Le 30 mars, la Maison Blanche a publié des lettres d’anciens dirigeants économiques, y compris dix anciens Secrétaires du commerce, démocrates et républicains, exhortant les dirigeants du Congrès à donner l’APC à l’administration Obama.
Les secrétaires du commerce ont déclaré : « Une fois terminé, l’Accord de Partenariat Transpacifique (APT) et le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI) donneront les États-Unis des accords de libre-échange avec 65 pour cent du PIB mondial, donnant à nos entreprises un accès préférentiel à une grande base de nouveaux clients potentiels. »
Cette demande pour « l’accès préférentiel » menace de faire éclater l’économie mondiale en blocs rivaux, comme avant les première et deuxième guerres mondiales.
Mike Head
Source : mondialisation.ca