Billet de Maestitia, par Myriam Ould-Hamouda…

Publié le 07 avril 2015 par Chatquilouche @chatquilouche

J’ai cru que tu me faisais un croche-pied alors que tu me tendais la main, et comme une quiche je suis tombée. Quand c’est déjà l’automne que le brouillard recouvre chaque petit matin et qu’on est une putain de tête de mule qui refuse de porter ses binocles, forcément le monde on le voit beaucoup moins bien. Mais parfois ça m’arrange un peu, de ne plus le voir tel que les grands ont bien voulu me le montrer. Y’a tellement de murs que je n’ai pas osé faire, juste parce que j’avais peur de me faire des bobos aux genoux. Tellement de bois que j’ai contournés, par peur de m’y perdre et d’y croiser un loup. Tellement de plaisir que je n’ai pas pris, par peur de choper une MST. J’ai toujours su mes leçons sur le bout des doigts, mais celles de la vie, j’avoue, je n’y ai jamais rien compris. Les mamans flippent à mort quand tu te coinces les doigts dans la porte, elles défaillent un peu et même que ça se voit. Mais pour se donner de la contenance, elles finissent par dire un truc qui ressemble à « ça te servira de leçon » même si elles n’y croient pas vraiment. Une maman, c’est rien qu’un grand qui s’accroche à ses bouées comme elle peut, et on ne peut pas lui en vouloir. Sauf que, les bouées, on n’en veut plus, les leçons, on n’en peut plus ; on manque de souffle à les réciter par cœur.

 L’évidence, la vérité, la réalité, ce sont des notions dont les mômes comme moi ont bouffé chaque soir, même qu’on en redemandait une fois la première assiette terminée. On avait les yeux plus gros que le ventre, mais on est toujours restés sur notre faim. Et même si on finissait la nuit penché au-dessus de la cuvette des waters, le ventre barbouillé, on crevait toujours la dalle. Et en se relevant, on se jetait sur la première plaquette de chocolat, et la leçon, on oubliait de l’apprendre exprès. Souvent, j’ai envié la vieillesse de ne plus entendre qu’à moitié les conneries que vous lui racontiez. Les oui que vous me faisiez ravaler avec ma soupe froide. Là d’où vous venez, la dépression est un caprice ; et les dépressifs ne sont rien d’autre que des narcissiques qui ont usé le côté grossissant du miroir. Et Dieu sait que c’est laid, un bouton d’acné dix fois plus gros que lui. Surtout quand à force de pointer blanc au petit matin, il finit par exploser ailleurs que dans la salle de bain. Et Dieu sait que c’est lourd à porter, le poids d’une culpabilité qui ne nous appartient pas. Surtout quand c’est vous qui le pointez, le doigt, l’index ou le majeur. Souvent j’ai détesté ma gueule dans le miroir de la salle de bain, juste parce que vous n’y voyiez que son teint blême et ses points noirs.

 L’évidence, c’est quand un ancien curé te confesse qu’il préférait les enterrements aux mariages, parce qu’au milieu de tout ce cinoche c’est la douleur qui sonnait le moins faux. L’évidence, c’est quand la vérité, la réalité en vrai, tu t’en fous, que parler de tout et de rien ne servent plus à rien qu’à meubler cet appartement vide depuis qu’on n’y vit plus. L’évidence, c’est quand les cimetières se peuplent un peu plus chaque petit matin de tous ces mecs indispensables, et que tous les bobos aux genoux du monde ne donnent jamais aucun sens à tout ça. L’évidence ne ressemble jamais à ces blondes peroxydées qui te parlent de télé, de réalité, et de lunettes roses qui ont changé leur vie. L’évidence, elle gronde, elle éclate, elle laisse des traces sur les murs blancs du salon et sur le miroir de la salle de bain. L’évidence, elle fait mal, et ne prend jamais la peine de sourire en disant bonjour. L’évidence, elle se retourne dans sa tombe quand on se met à parler d’elle en faisant des messes basses ; et c’est un sacré spectacle, mais personne n’est jamais là pour y assister.

Notice biographique

Myriam Ould-Hamouda (alias Maestitia) voit le jour à Belfort (Franche-Comté) en 1987. Elle travaille au sein d’une association pour personnes retraitées où elle anime, entre autres, des ateliers d’écriture.  C’est en focalisant son énergie sur le théâtre et le dessin qu’elle a acquis et développé son sens du mouvement, teinté de sonorités, et sa douceur en bataille — autant de fils conducteurs vers sa passion primordiale : l’écriture. Elle écrit comme elle vit, et vit comme elle parle.  Récemment, elle a créé un blogue Un peu d’on mais sans œufs, où elle dévoile sa vision du monde à travers ses mots – oscillant entre prose et poésie – et quelques croquis,  au ton humoristique, dans lesquels elle met en scène des tranches de vie : http://blogmaestitia.xawaxx.org/

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)