Six mois plus tard, nous prenons conscience qu’il faut voir White Bird, de Gregg Araki. Alors, on essaye un peu de se rattraper…
Il nous fallait bien du courage pour oser écrire sur la dernière œuvre de Gregg Araki, d’autant plus que sa sortie en salles date d’il y a bientôt six mois. On se sent un peu honteux de ne pas avoir laissé notre curiosité nous pousser davantage vers les salles obscures le 15 octobre dernier, mais surtout de ne pas avoir su exciter à temps celle de nos lecteurs. C’est donc la queue basse que nous découvrons White Bird (originellement White Bird in a Blizzard), bien trop longtemps après sa sortie, et que nous osons, au risque de nous faire conspuer pour notre retard, écrire quelques lignes élogieuses à son propos. Nous voulons nous rattraper, reprendre là où nous avons failli. Nous voulons, en toute modestie, titiller l’intérêt de ceux qui, comme nous, avaient tiré un trait sur cette pépite de ciné indé, en avaient fait l’impasse, et l’avaient relégué à une basse échelle de priorité dans leur liste de « films à voir ».
Il se dégage en effet quelque chose d’extrêmement étrange dans le cinéma de Gregg Araki. Quelque chose qui dérange, titille, et pourtant fascine. Il y a d’abord ce côté âpre, parfois cru, qui émane principalement des thèmes récurrents abordés par le cinéaste (ici l’adolescence, sujet cher au réalisateur, toujours filmée sans concession). Et il y a, en contraste, cette mise en scène ouaté dont seul Araki semble avoir le secret. Elle est issue d’un intriguant travail de composition entre des lumières douces, des teintes chaudes, des images fantasmagoriques, et la bande-son planante de Robin Guthrie, aux échos souvent new-wave. Bien que plutôt sage en comparaison de la sulfureuse filmographie du cinéaste (on pense, entre autres, à Mysterious Skin), White Bird se contemple comme un conte, où l’héroïne, Kat, parfaitement endossée par Shailene Woodley, part à la conquête de sa mère disparue tout en se confrontant au bouillonnement hormonal de l’adolescence et au passage à la vie adulte, avec les choix qui en découlent. Et comme dans tout conte, la part de rêve, de naïveté et de poésie est totalement assumée, en particulier grâce à un choix judicieux de narration, de montage, et de photographie (dans certaines scènes, surréalistes et fantasmagoriques, notamment).
En apparence, la surface de l’intrigue semble simple et même parfois, surtout dans le dénouement, trop grandiloquente. Pourtant, en grattant, on découvre toute la complexité du scénario, qui décortique intelligemment, par le biais des relations familiales, le mal-être adolescent et le passage à l’âge adulte. Au creux de cette exploration, il y a, inévitablement, les relations conflictuelles entre ados et parents. L’héroïne vit avec un père en apparence « sans courage » et garde le souvenir d’une mère dépressive (divine Eva Green), qui a longtemps ruminé sur l’échec de sa vie. Quant à Phil, son petit copain, il patauge dans un foyer monoparental bancal, avec une mère aveugle, seule et presque folle. Gregg Araki pose un contexte à chaque personnage, peut ainsi poursuivre son introspection et mettre aisément en images les mystères et les troubles liés à l’adolescence. Forcément, ou plutôt naturellement, Araki touche du doigt un autre thème récurrent dans son œuvre : l’éveil sexuel. Mais cette fois-ci, il semble moins osé, moins provocateur, toujours associé à la volonté de peindre avec une certaine douceur une vision complète et juste de cette période où la naïveté de l’enfance prend doucement son envol, et que le monde adulte, rattrape soudainement. Comme de frêles oiseaux blancs confondus dans la neige et le blizzard.
White Bird est disponible sur la plateforme de VOD UniversCiné