Au cours des années 2013 et 2014, Mélanie Chappuis s'est mise dans la tête d'une centaine de personnes, et de quelques objets inanimés, auxquels elle a donné une âme. Ces mises dans la tête se sont traduites par des chroniques hebdomadaires, publiées le mardi dans Le Temps.
Un premier recueil de ces chroniques, augmentées de quelques inédits, a paru à l'automne 2013, aux Editions Luce Wilquin. Il couvre la période qui va du mardi 22 janvier au mardi 8 octobre de cette année-là.
Un second recueil vient de paraître à L'Âge d'Homme. Il commence donc avec la chronique suivante, du mardi 15 octobre 2013, et se termine avec celle du 16 décembre 2014. Et comporte deux inédits.
Nouvelle version de L'arroseur arrosé, je me suis demandé, plutôt que de faire un billet sur ce tome II - bis reptita non placent -, s'il ne serait pas amusant d'aller regarder dans la tête de Mélanie Chappuis (sans avoir son talent) pour voir ce qui s'y cogite à l'adresse d'un de ses lecteurs, après toutes ces semaines passées à chroniquer pour le quotidien genevois.
Francis Richard
Dans la tête de… Mélanie Chappuis
Tu sais, tout a une fin et je suis contente que ce soit fini. Même si toute fin, ça sent la mort, ça donne froid… dans le dos. Pourtant, ne te méprends pas. J’ai pris beaucoup de plaisir à me mettre à la place de toutes ces personnes, et de ces quelques objets, qui avaient un rapport avec l’actualité de ces deux dernières années. C’est, en raccourci, à chaque fois, ce que je fais, quand je crée, en développé, des personnages romanesques.
Cependant, crois-moi, c’est astreignant de devoir écrire, sous le même format, toutes les semaines, à jour fixe, c’est-à-dire de remettre sa copie, conforme au standard, au plus tard le lundi après-midi. Souvent j’attends le dimanche pour décider d’un sujet. Mais j’ai dû m’intéresser pendant toute la semaine à ce qui s’est passé dans le monde: événements nationaux ou internationaux, politiques ou économiques, culturels ou sportifs, ou tout simplement… faits divers.
Ces chroniques ne sont pas le fruit de confidences, mais elles doivent cependant partir de faits bien réels et être plausibles, au-delà de la caricature, inévitable. Il faut donc observer, trier et réunir les éléments. Comme il s’agit de faire œuvre littéraire et non pas journalistique, il ne faut pas que ça se sente; il faut que ça coule de source; il faut que ça me vienne sous la plume sans que tu ne t’aperçoives de ce qui l’alimente.
Tu as pu constater que je me mets dans la tête de toutes sortes de gens. C’est très enrichissant. Ça peut être des gens comme toi et moi, c’est-à-dire des gens de tous les jours, mais ça peut être aussi des célébrités. Ça peut être des puissants comme des faibles. Dans tous les cas je m’efforce de les comprendre et de ne pas les juger, de te les rendre familiers et, par exemple, de te parler de leur femme ou de leur homme, de leurs enfants ou de leurs animaux, de leurs qualités ou de leurs défauts.
Dans toute œuvre de fiction, il y a une part de soi qui transparaît. C’est inévitable. J’essaie tout du moins de garder la même distance avec ceux qui expriment des idées sublimes qu’avec ceux qui en expriment de pourries. Ce sont eux qui parlent, ce n’est pas moi, mais il n’est pas difficile de deviner pour lesquelles de ces idées mon cœur et ma raison balancent.
Bien sûr, ce que j’écris ne plaît pas à tout le monde, mais une chose me guide toujours. Tu ne peux pas ne pas l’avoir remarquée. J’essaie de voir dans toute personne à qui je prête des pensées l’être humain qu’elle est. C’est pourquoi, comme je te l’ai dit tout à l’heure je ne me permets pas de juger. Si comprendre ne veut pas dire approuver, comprendre permet d’aimer, peu ou prou, même ceux en qui je peux avoir du mal à voir qu’ils sont mes semblables.
Certes, aucune vie n’est jamais un conte de fées, et celles qui apparaissent dans mes chroniques ne font pas exception à cette évidence. Mais il est au moins une chose qui, j’espère, en ressort: la connaissance de l’autre, quel qu’il soit, permet de le comprendre. Sans cela, tu peux oublier que la condition humaine puisse être fraternelle.
Dans la tête de... Tome II / Chroniques, Mélanie Chappuis, 192 pages, L'Âge d'Homme
Dans la tête de ..., Mélanie Chappuis, 176 pages, Editions Luce Wilquin