Depuis hier, je suis dans mon lit. Je ressasse ma peine, mon angoisse, je me ferme aux vicissitudes de l'extérieur, à Paris qui d'habitude sait suffisamment me faire tourner la tête pour m'apaiser. Mais là rien ne va, et même la Grande Roue de la Concorde n'y pourrait rien. Sous mes draps, dans le creux de mon odeur familière, je forme un cercle apaisant de musique et de mots. Un livre ouvert sur le ventre, j'évite le défilement des pensées qui amènent systématiquement des larmes à mes yeux. Quelle poisse, ces émotions qui me submergent, quelle poisse cette sensibilité qui se déverse. Tu m'as dit que si je ne tombais pas c'est que j'étais forte, et presque un peu coupable, pourquoi pas. Mais est-ce que tu me vois là ? Et est-ce que tu m'as vu quand j'ai perdu l'équilibre ce matin ? La force ne se mesure pas à l'aune du courage. Tu n'as pas compris comment j'avais pu revenir après le conflit, comment j'avais pu reprendre ma place, affronter les réactions de ceux qui m'avaient regardé tanguer. Ce petit chef que nous avons depuis quelques mois a reconnu en moi sa proie, j'étais facile à trouver. Tu ne peux pas savoir les humiliations d'avant, les heures passées au collège à soutenir de multiples regards blagueurs et violents. Le courage qu'il fallait pour ne pas être la première à baisser les yeux, la victoire si acide, et cette destruction irréversible à l'intérieur de soi de quelques cellules, chaque jour. Cela a recommencé, j'ai appris. Mais à chaque fierté gagnée, à chaque pas en avant, j'ai perdu un peu de mon être. Et je suis restée une proie facile. Tu m'as dit qu'il fallait le comprendre, je n'étais certainement pas assez souple, une collègue facile. Malgré le soutien de ceux qui me connaissent depuis des années, leurs encouragements à rester forte, c'est de toi dont j'attendais les mots qui soulagent et rassurent. Parce qu'à toi j'avais confié mon amitié. Tes doutes m'ont fait perdre encore quelques cellules et je me sens ce week-end comme soufflée de matière. J'ai peur cette fois-ci d'y laisser ma peau, de manquer de courage. Pourtant je sais que même vidée de l'intérieur, bouleversée, avec seulement la peau sur les os, et le coeur qui bât la chamade, je serai présente à tes côtés dès lundi. Il ne faudra pas que tu pleures sur notre amitié, je ne peux pas me permettre de m'appuyer sur des sables mouvants. J'ai déjà livré trop de batailles, je redoute seulement celle qui pourrait m'achever.
Une photo (de Leiloona), une inspiration, beaucoup d'imagination, et au final un texte... tout ça pour l'atelier d'écriture de Leiloona [clic]. Un petit écho à ce texte là [ici].