Genre: shockumentary, trash, death movie (interdit aux - 18 ans)
Année: 2001
Durée: 1h32
L'histoire: Dans le quartier délabré de El Cartucho à Bogotá, le réalisateur japonais Kiyotaka Tsurisaki va suivre pendant plusieurs mois, le quotidien effroyablement routinier de Froilan Orozco Duarte, surnommé Orozco, le plus vieil embaumeur de la ville.
La critique:
Tout d'abord, je suis heureux de vous souhaiter à tous, la bienvenue sur Cinéma Choc. Un nouveau blog qui, nous l'espérons, saura répondre à vos attentes de cinéphiles avertis. Cinéma Choc... Pas sûr que vous en ressortiez indemnes ! Et histoire de vous marquer au fer rouge d'entrée de jeu, je vous propose de suivre l'histoire de Orozco, un vieil embaumeur fatigué qui officia pendant trente ans à El Cartucho, une des favelas les plus misérables de Bogotá, capitale de la Colombie.
Comme chacun sait, ce pays est l'un des plus dangereux du monde. Avec ses cartels, ses enlèvements et ses règlements de compte, la Colombie (comme beaucoup de pays d'Amérique du Sud) affiche un taux d'insécurité absolument démentiel. Si l'on ajoute à cela, l'incommensurable pauvreté de ces quartiers avec son cortège de maladies et d'épidémies, on comprendra aisément que l'ami Orozco n'aura pas chômé durant ses trois décennies de labeur.
Dans son cas, peut-être même devrait-on employer le mot de sacerdoce. Car cet homme sénile et édenté, aura découpé, éviscéré, maquillé et embaumé des cadavres pendant plus de trente ans. Tout cela, afin de les rendre un peu plus dignes et présentables à leurs proches. C'est ce parcours horriblement routinier que nous propose de suivre Kiyotaka Tsurisaki au travers d'un documentaire considéré comme l'un (le ?) des plus choquants jamais réalisés.
Orozco The Embalmer est un death movie. C'est-à-dire un film qui présente de véritables morts à l'écran. Que ce soient des cadavres ou des décès en direct, ici pas d'artifices ni d'effets spéciaux. Le death movie, ce n'est pas du cinéma, mais le réel avec son lot de banales atrocités. D'ailleurs, très peu de films analogues existent sur le circuit cinématographique traditionnel. Beaucoup s'accordent à dire que le genre est né en 1978 avec le célibrissime Face à la Mort.
Il s'est avéré par la suite, que tout dans ce documentaire choc, n'était que falsifications et poudre aux yeux. Un fake comme on dit aujourd'hui. En réalité, on retrouve les premières traces du vrai death movie plus avant encore avec le très méconnu The Act Of Seing With One's Own Eyes, réalisé en 1971, et qui relatait le travail des employés d'une morgue de Pittsburg, USA.
Les vrais death movie (à ne pas confondre avec le Mondo, même si souvent les deux genres s'entremêlent) n'en restent pas moins très rares. Parmi eux, citons Der Weg Nach Eden, shockumentary autrichien de 1995. A ce sujet, le (pourtant) très dérangeant Aftermath ne peut absolument pas être considéré comme tel puisque mettant en scène un vrai acteur et un faux cadavre. Orozco The Embalmer, lui, est un vrai "film de morts". C'est aussi le descriptif détaillé sur le parcours du dernier accompagnateur du défunt, l'ultime maillon de la chaîne nécrologique: l'embaumeur.
Attention spoilers: en 1996, Kiyotaka Tsurisaki choisit de poser sa caméra dans l'un des quartiers les plus pauvres de Bogotá afin de retracer, durant quelques semaines, la vie quotidienne de Orozco, un vieil embaumeur. C'est un homme usé mais encore généreux que le réalisateur nous présente. Et surtout, un travailleur consciencieux, qui met un point d'honneur à faire son travail si particulier avec le plus de sérieux et d'honnêteté possible. Dans son local exiguë et insalubre, il travaille avec une précision chirurgicale malgré ses outils d'un autre âge. Pourtant le monde de Orozco a de quoi filer la nausée.
Dans les ruelles sales, au milieu des montagnes de détritus, on croise des enfants au visage blême, des jeunes défoncés au crack, des vieillards qui mendient... Soudain la caméra s'arrête sur un corps gisant en pleine rue. Une femme vient d'être abattue de plusieurs balles dans la tête. Encore une "cliente" pour Orozco.
C'est que des clients, le brave homme en a vu défiler depuis le temps avec plus de cinquante mille embaumements à son actif ! Des morts naturelles, bien sûr, mais aussi et surtout, un nombre incalculable de personnes assassinées. Des gosses, des femmes et même un nouveau né dont la vision de l'embaumement est particulièrement intolérable. Le documentaire fait une pause et nous retrouvons le réalisateur un an après, de retour à Bogotá, pour des retrouvailles avec le vieil embaumeur. Tsurisaki apprendra alors avec tristesse que Orozco est mort quelques semaines plus tôt d'une infection à l'estomac.
Révoltant, traumatisant, Orozco The Embalmer l'est sans aucun doute. Il l'est d'autant plus que Tsurisaki n'hésite pas à faire étalage de cette horreur abrupte avec une certaine complaisance.
Son insistance à montrer en gros plans et de manière répétitive, ces corps réduits à l'état de poupées chiffonnées, ces organes déversés sur la table de travail, ces peaux flasques découpées et recousues, a quelque chose se profondément perturbant. Souvent, on atteint l'écoeurement jusqu'au paroxysme. Donc, je ne peux que déconseiller très vivement aux personnes impressionnables de visionner ce film sous peine d'être hantées à jamais par ces images abominables.
Mais à bien y réfléchir, pourquoi ce documentaire est-il tellement choquant ? Parce qu'il nous expose sans fard la triste réalité de notre fin inéluctable ? Parce que la société de consommation a tellement enfoui l'idée de la mort qu'elle nous apparaît à ce point insupportable ? A chacun son opinion.
Personnellement, je trouve ce film atrocement beau car il n'élude rien de la condition humaine dans son éphémère existence et dans sa futile dramaturgie. Quant à ce vieil Orozco, il se révèle tout au long du film, remarquable d'abnégation et de désintéressement. Ainsi, il proposait ses services aux plus pauvres pour la modique somme de cinquante dollars, alors que ses "collègues" embaumeurs tarifaient leurs compétences huit fois plus, et sans négociation. Pauvre Orozco !
Lui qui a passé sa vie à redonner une certaine dignité aux morts, personne n'a fait de même avec lui quand la grande faucheuse est venue l'attraper en février 1998. Pire, sans famille ni proches, il n'eut pas droit à une tombe et a fini dans la fosse commune. Triste ironie. De tous les death movies, Orozco The Embalmer est certainement le plus violent tant dans le message que dans le contenu. Mais le juger uniquement sur son extrême violence serait vraiment réducteur car il pose la question essentielle de notre seuil de tolérance et d'acceptation vis à vis de la souffrance, de la déchéance corporelle et par la même de la mort. Beaucoup plus profond qu'il n'y paraît, Orozco The Embalmer est un documentaire exceptionnel. Un film unique que vous n'oublierez pas de si tôt.
Note: 17,5/20