Gaël Faye est un de ces hommes qui utilisent la musique pour partager leur point de vue.
Sans revendication réelle, avec pour seule ambition l'information, l'ouverture sur un autre point de vue, il se raconte à travers des textes forts parmi lesquels on trouve "TV" qui m'a semblé tout à fait d'actualité -malheureusement- ces derniers jours.
Le 02 avril au matin, 147 personnes (dont 143 étudiants, 3 policiers et 3 militaires) ont été massacrés par un groupe de terroristes affiliés à Al Quaïda, sur le site de l'université de Garissa. On dénombre aussi 104 blessés.
Effroi.
Puis incompréhension. Rien. Aucune réaction.
Ou si peu.
On se souvient tous du soulèvement général après les évènements du 7 janvier. Alors qu'attend-t'on pour faire front. Pour manifester notre compassion, pour offrir aux kényans notre soutien.
Personnellement je le vis mal. Je ne comprends pas le coup du "deux poids deux mesures". Bien entendu que l'attaque de Charlie Hebdo nous concernait directement et qu'ici le massacre a été perpétré sur un autre continent. L'Afrique, qui plus est. Ca n'aide pas à faire circuler l'information. A provoquer l'émotion. On se souvient de ces images diffusées à la télé, en boucle, de ces famines, de ces cadavres et de ces chiffres, toujours plus effrayants, défilant jour après jour, du Rwanda. De l'indifférence d'alors.
J'ai eu envie de croire après le mouvement "NousSommesCharlie que les choses allaient changer. Que les évènements locaux allaient irradier dans le monde entier.
Le défilé de ces chefs d'états, tous réunis, m'a presque laissé espérer qu'il n'y aurait plus de place pour l'indifférence et que nous allions pouvoir nous unir enfin, tous, face à la détresse humaine, partout, chez nous, ailleurs aussi. Uniquement contre un même ennemi -ces terroristes qui sévissent sans épargner personne- OK, mais c'était déjà un bon début...
Et puis voilà, le Kenya, nous en sommes là.
Je ne sais pas très bien si nous sommes tous Charlie aujourd'hui. Que sont devenus ceux qui s'émouvaient à grand renfort de pancartes associées à des sourires parfaits sur Instagram et de tirades humanistes en 140 caractères sur Twitter?
L'indifférence des médias et- conséquence logique?- celle de la population me laissent penser que ces belles idées n'ont pas su s'inscrire dans la durée. Qu'on a échoué. Qu'il n'y avait rien de profond derrière tout ça. Que l'histoire, au fond, se répète sans cesse et que non, le changement ça n'est décidément pas pour maintenant.
Ce texte de Gaël Faye concerne la réalité vue à travers le prisme de la télévision, écran qui nous rend impalpable la détresse d'autrui, la douleur des autres qu'on ingurgite comme une simple partie du spectacle quotidien, ingrédient insipide de ce cocktail d'images dont on nous abreuve sans cesse; "TV" est malheureusement toujours d'actualité.
La mère de Gaël Faye est rwandaise, d'origine Tutsi; son père est français. Il a vécu ses premières années au Burundi mais il a dû quitter le pays à 13 ans lorsque le pays a été atteint par le conflit entre les Hutus et Tutsis qui sévissait alors au Rwanda. Il arrive ainsi dans la banlieue parisienne. Et raconte son vécu et sa relation à l'actualité vue à travers la télévision.
Ce texte, je crois, mérite d'être écouté attentivement.
Même au fond de mon petit pays, je regardais ma lucarne
Les convulsions du monde nous parvenaient comme un lointain vacarme
Souvent la télé s'partageait avec l'ensemble du voisinage
La mondovision canapé transforme le globe en un village
Les fractions d'imaginaires partageant tous la même doxa
Roger Milla en Coupe du Monde et le monde danse le makossa
La Guerre du Golfe de Mister Bush, avant fiston y'avait papa
Et j'matais le pillage des pipelines en bouffant mes papayes
Nous étions tous les mêmes gamins rêvant d'entrer dans la Dream team
Malgré l'arceau dans mon jardin j'ai jamais vu Patrick Ewing
J'me suis accroché à des rêves souvent très loin d'mon quotidien
J'connaissais bien moins ma culture que le western hollywoodien
On pensait tenir aucun rôle dans le programme de leurs feuilletons
Mais un jour en Gaule à La Baule y'a eu le discours de tonton
Démocratie multipartisme, fallait ranger les pistolets
Comme rien n'est simple la guerre a éclaté, j'ai éteint ma télé
Refrain
C'est cool... C'est cool... Ma jeunesse s'écoule...
C'est cool...
Entre un mur qui tombe et deux tours qui s'écroulent
Pendant qu'on s'débattait dans une fournaise
Les autres nous regardaient
Assis en charentaises
A s'demander "Y'a quoi à la télé ?
C'est quoi ces peuples qui crient à l'aide entre le fromage et le dessert ?"
L'humanité est plus fragile qu'une orchidée dans le désert
Et quand le drame est bien trop grand, il se transforme en statistiques
Et Lady Di a plus de poids qu'un million de morts en Afrique
L'ignorance est moins mortelle que l'indifférence aux sanglots
Les hommes sont des hommes pour les hommes et les loups ne sont que des chiots
Alors on agonise en silence dans un cri sans écho
Et même si la technique avance, elle ne changera pas la déco
On a grandit avec le poids de nos démons sur le roc des coteaux
Alors donnez-nous des mots pour qu'on vous change la photo
Pour qu'on écrive à hauteur d'homme ce que la télé ne montre pas
Les battements du cœur de mon âme est une info qui ne ment pas
J'venais d'Afrique mais sans connaître Kouchner et puis son sac de riz
J'ai débarqué un soir d'hiver ici avec mon sac de rimes
-Refrain-
J'ai perdu mon jardin d'Eden où je me nourrissais de mangues
Je suis prisonnier de mes chaînes vu qu'ici la télé commande
J'l'ai rallumée dans un trois pièces de cet immeuble surchauffé
J'l'ai entretenue comme le feu parce que dehors j'me les congelais
Loin dans mon exil, je zappe ceux qui ont pris ma place
Et quand on joue sur leur terrain c'est souvent rare qu'on te remplace
J'fais une pause, le temps d'une pub Coca Cola
Insérée entre un mur qui tombe et la sortie de Mandela
On a vécu en continu, comme un flot d'informations
Et j'me suis perdu dans ma rue sous un amas de béton
Les souvenirs de ma vie s'mélangent à toutes ces images diffusées
Vivre hors champ d'la caméra c'est souvent ne pas exister
On nous gave d'images à satiété, de sexe, de fric et de faucheuse
Alors j'écris des textes comme un écho de nos vies silencieuses
Sur leur écran on est des bouts d'pixels perdus dans la foule
Et nos vies s'écoulent, coulent pendant qu'le monde s'écroule