Dessin sur les Accords de Ouagadougou de 1994 signés avec le Niger par l’Organisation de la Résistance Armée (ORA), paru dans le petit journal touareg Amnas ihgawgawen, " Le Chameau bègue ", n°4, 1994.
Sur les accords d'Alger
Entretien avec Hélène Claudot-Hawad , anthropologue
Questions de Patrick Kulesza directeur du GITPA
Patrick Kulesza : Pouvez vous succinctement rappeler les Accords de paix qui ont précédé ce projet de nouvel Accord pour la Paix ?
Hélène Claudot-Hawad : Trois Accords de paix et un Pacte National, sans compter diverses Conférences et Conventions, ont été signés par le gouvernement malien avec les fronts armés touaregs et alliés, depuis 1991. Avant cette date, l’insurrection de l’Adagh en 1963 fut réprimée dans le sang et le silence, avec le massacre de milliers de civils par l’armée malienne, provoquant un exil massif des familles touarègues dans les Etats voisins. Aucune forme de dialogue, aucune négociation, aucune enquête sur les exactions ne fut envisagée par les autorités. Aucune réaction ne vint non plus de la communauté internationale pour condamner ou arrêter ces tueries, restées jusqu’à présent impunies.
Quand le soulèvement touareg de 1990 surgit au Niger et au Mali, la France et l’Algérie se mobilisèrent immédiatement, pour parvenir à contrôler la situation jusqu’à la cessation des hostilités, avec les Accords de Tamanrasset le 6 janvier 1991, suivis par le Pacte National un an après (11 avril 1992). L’objectif était d’éradiquer la dimension "touarègue" supra-étatique de ces luttes, en redimensionnant les mouvements initiaux (Front de libération du peuple touareg et Mouvement de libération touarègue) à l’intérieur du périmètre de chaque Etat : le mot "touareg" disparut de l’appellation des fronts au profit de "Azawad" du côté malien, et de "Aïr et Azawagh" du côté nigérien. En dépit du reformatage infra-étatique des fronts armés et de l’acceptation d’un règlement éclaté de la "question touarègue" – ne remettant plus en cause les frontières postcoloniales –, le statut spécial prévu pour l’Azawad fut finalement rejeté par l’Etat au nom de son caractère "anticonstitutionnel". Quant aux autres mesures annoncées (développement économique, création d’infrastructures, sécurité, répartition plus équitable des ressources, retour des réfugiés, etc.), elles n’ont pour la plupart jamais été mises en œuvre. D’autant moins que les accords de paix à peine signés, ce sont les milices gouvernementales encadrées par des militaires qui sont entrées en scène, instaurant un climat de terreur et de guerre civile : le mouvement Ganda Koy, animé d’une idéologie raciste relayée par la presse, prônait ouvertement la solution finale pour les "Rouges", c’est-à-dire les individus touaregs et arabes à peau claire, chargés de tous les maux de la terre sur le modèle de l’antisémitisme européen. Des expéditions génocidaires menées par ces milices et l’armée, avec des pics d’horreur et de cruauté atteints en 1994, décimèrent la population qui reprit le chemin de l’exil.
Une nouvelle insurrection intervient en mai 2006 (et parallèlement en 2007 au Niger). Bien que dans leurs déclarations, les mouvements inscrivent clairement leur lutte politique dans le cadre national malien, ils sont immédiatement accusés d’"ethnicisme", de "communautarisme" et pour finir de "terrorisme" suivant la terminologie américaine si pratique pour disqualifier les opposants politiques. De nouveaux Accords sont très vite négociés en juillet toujours sous l’égide de l’Algérie (Accords d’Alger de 2006), réitérant les promesses non tenues du Pacte précédent.
Ce scénario est répétitif. Le gouvernement malien jusqu’à aujourd’hui s’est montré incapable de résoudre le conflit que ce soit sur le plan politique, social ou militaire. Il a eu chaque fois recours à la pire des stratégies, une stratégie mortifère autant pour le peuple que pour l’Etat lui-même, en œuvrant à transformer un conflit de nature politique – qui était en fait un véritable appel à la démocratisation du Mali – en guerre de races (noirs/blancs), d’ethnies (Touaregs/Arabes/Songhay/Peuls), de castes ou de religions. Il a misé sur la guerre civile, l’instauration de la terreur et la destruction du vivre ensemble pour pouvoir tranquillement poursuivre ses affaires juteuses au sommet de l’Etat, hors du contrôle populaire.
En 2011, le Mouvement National de Libération de l’Azawad – qui se réclame d’une identité plurielle (Touaregs, Songhay, Arabes et Peuls) – interpelle le gouvernement malien pour qu’il applique enfin les Accords d’Alger de 2006. En vain. Le MNLA passe alors à l’action en janvier 2012. Il met rapidement l’armée en déroute, fort de ses combattants touaregs revenus de Libye, aguerris et équipés d’armes lourdes provenant de l’arsenal de Kadhafi. Ces hommes sont issus des familles exilées depuis les années de plomb du Mali. A peine deux mois après la création du MNLA, surgit un front islamiste (Ansar Eddine) dirigé par l’ex-rebelle touareg, puis ex-fonctionnaire et diplomate malien, Iyad ag Ghali, qui très vite se range du côté des groupes salafistes (AQMI, MUJAO) pour éliminer le MNLA. Entre temps, le gouvernement de Bamako est renversé par un putsch militaire. La communauté internationale se mobilise pour rétablir l’ordre constitutionnel. Elle remet en selle un pouvoir malien impuissant face à l’avancée des islamistes (prétexte de l’intervention militaire française en janvier 2013) et organise au forcing des élections présidentielles après avoir obtenu l’arrêt des hostilités. L’Accord de Ouagadougou est signé en juin 2013 sous l’égide de la CEDEAO, de l’ONU et de UE. Il prévoit des pourparlers de paix avec les fronts armés, soixante jours après l’élection présidentielle, promesse non tenue par le nouveau gouvernement malien qui laisse le dossier en souffrance et fait appel finalement à l’Algérie pour le gérer d’une autre façon.
Quelles sont les raisons principales qui ont conduit au non respect des accords précédents ?
On peut parler d’absence de volonté politique du gouvernement, piégé par ailleurs par une opinion publique chauffée à blanc par le matraquage médiatique anti-touareg, et donc hostile à tout compromis. On a le sentiment que chaque fois que le Mali a signé des Accords de paix, c’était plutôt pour gagner du temps face aux mouvements armés qui l’emportaient sur le terrain. Rappelons que c’est après – et non avant – les Accords de 1991 et 1992, 2006, puis 2013, que les milices gouvernementales se sont livrées avec l’armée aux pires exactions sur la population civile à teint clair, massacrant les gens au nom de leur appartenance communautaire, pillant, détruisant, brûlant leurs biens, mitraillant leurs troupeaux ou leurs commerces, installant la terreur entre voisins, sur fond de propagande médiatique comparable à celle de la radio des milles collines au Rwanda, en criminalisant toute une communauté.
Les pouvoirs, soutenus par leurs différents partenaires internationaux, ont misé sur des solutions de type génocidaire pour régler les problèmes nés essentiellement de la mauvaise gouvernance de l’Etat malien. Ils ont compté sur l’autodestruction des communautés du Nord et aussi sur l’abandon des territoires touaregs convoités par l’industrie minière.
Le Chameau bègue
Quels sont les signataires de ce nouvel accord pour les populations du Nord Mali [ndlr : ie l’Azawad] et quelle est leur représentativité ?
Pour l’instant, les seuls signataires de ce projet d’accord de paix appartiennent, en fait, au même camp : il s’agit du gouvernement malien et des milices contre-insurrectionnelles qu’il a créées lui-même pour diviser la population, affaiblir les mouvements contestataires et en particulier minoriser le MNLA. Peut-on prétendre que les groupes signataires – Coordination des Mouvements et Fronts patriotiques de résistance (Ganda Koy, Ganda Izo) et Coordination pour le peuple de l’Azawad (Groupe d’autodéfense touareg Imghad et alliés ; Mouvement Arabe de l’Azawad pro-Bamako) – qui sont soudoyés, soutenus, encadrés et armés par Bamako, représentent la société civile ? Ces milices prétendues "d’auto-défense" sont dirigées par des officiers maliens en exercice comme par exemple le dernier né, le GATIA (Groupe d’autodéfense touareg Imghad et alliés) fondé par le général Ag Gamou, dont l’effectif principal est formé de soldats maliens touaregs de la catégorie sociale des "imghad", transformés pour l’occasion en une nouvelle "ethnie". Les milices qui se disent "négro-africanistes" promeuvent quant à elles la lutte des "noirs" contre les "blancs", recrutent beaucoup de jeunes désœuvrés, sans perspective d’avenir et transforment leur exaspération sociale en haine raciale ou ethnique. Leurs slogans et leur mode de fonctionnement (diffusés sur Youtube) rappellent les milices nazies, avec les "Rouges" (Touaregs à teint clair) à la place des Juifs. Toutes les fractures sociales possibles ont été attisées…
La notion de "représentativité" est un thème qui, depuis le début du conflit, a été intensément travaillé par la propagande malienne. L’idée martelée par le pouvoir, la presse et les forums est de faire croire que le MNLA ne représente qu’une infime minorité (certains média vont jusqu’à parler de 0,5% ou encore de "six familles" !) à l’intérieur même d’une minorité. Ainsi, au fil des événements, la démographie touarègue a été progressivement amputée jusqu’à la quasi-disparition de cette communauté puisque les nouveaux chiffres proposés à l’opinion se rapprochent du 0%... C’est évidemment absurde et grossier, mais cela réussit à enflammer les forums. La même propagande réserve la "représentativité" uniquement aux mouvements gouvernementaux (Gatia, Front de libération du Nord-Mali, Ganda Koy, Ganda Izo, Patriotes, etc.). Or, si le MNLA est la cible principale de cette propagande, c’est précisément parce que son projet initial d’indépendance, puis d’autonomie, est représentatif des aspirations des Azawadiens sinistrés et traumatisés, face à un gouvernement qui n’a montré aucune volonté pour honorer ses engagements et dont les pratiques génocidaires et assassinats ciblés se réactivent à la moindre occasion.
Y a-t-il des avancées dans ce nouvel Accord qui permettent d’espérer que celui-ci soit respecté ?
Pour certains représentants de la Coordination des Mouvements de l’Azawad, la seule chose qui diffère et peut faire espérer une application des accords, est la "garantie internationale" (Ambeyri ag Ghissa, sur Tamazgha, 6 mars 2015, et Siwel, 5 mars 2015). Cependant, rappelons que le processus de pré-accord de Ouagadougou, signé en 2013 sous l’égide de la CEDEAO, de l’ONU et de l’UE, a finalement été interrompu et que le dossier a été transféré à l’Algérie. Enfin, la France et l’Algérie avaient paraphé les accords précédents qui n’ont pas pour autant été suivis d’effets.
Les textes des différents Accords sont grosso modo identiques, et pour cause, puisque les principaux points n’ont pas été appliqués. Ils énoncent des principes vagues et généraux de bonne gouvernance (sécurisation, respect des droits de l’Homme, développement économique, meilleure insertion des populations du nord dans la "nation", représentativité politique, etc.). Mais rien ne dit comment ces mesures seront concrètement réalisées.
Par ailleurs, certains points abordés dans l’accord font craindre le pire : par exemple, il est prévu d’encourager l’extraction minière. Or, aucun paragraphe additif ne mentionne comment sera gérée et compensée la destruction des ressources végétales et hydrauliques des lieux, nécessaires à l’économie pastorale et à la simple survie des habitants. Rien n’est prévu, sauf l’idée, très vaguement évoquée, d’un transfert de 30% des revenus à la zone. Quand on connaît la corruption ambiante au niveau politique, qui a fait qu’aucune des aides internationales n’a été jusqu’ici reversée au bénéfice des habitants, comment adhérer à ces bonnes intentions autoproclamées ? Enfin, l’exemple tout proche de l’Aïr au Niger et des pratiques de l’entreprise française Areva n’incite pas à l’optimisme. La promesse de reverser un pourcentage des bénéfices de l’uranium à la région avait été faite et paraphée, mais n’a jamais été mise en œuvre. Les populations rurales qui ont vu leurs ressources naturelles polluées et saccagées, une grande partie de leur territoire confisqué, leur survie et leur santé menacées, ont-elles des moyens légaux pour faire respecter ces vaines promesses ? La réponse est non.
Y a-t-il dans la gouvernance du Mali un contexte favorable au respect de cet Accord ?
Je ne pense pas que le contexte soit plus favorable aujourd’hui qu’hier. La politique malienne n’a pas réussi à évoluer ni à innover. On en est toujours aux mêmes blocages et aux mêmes méthodes qu’il y a vingt-cinq ans. La corruption, les scandales financiers, le détournement des fonds publics, l’absence de pratiques démocratiques réelles et la compétition individuelle pour l’accès au pillage des ressources de l’Etat, sont plus apparents que jamais. La crise est totale. Dans ce contexte, effrayer l’opinion publique au sujet de l’Azawad est un bon dérivatif qui évite au gouvernement de rendre des comptes sur sa gestion de l’Etat. Les pourparlers de paix, prévus après l’Accord de Ouagadougou, n’ont pas eu lieu malgré leur absolue nécessité pour concilier les points de vue et rétablir la confiance. La dimension politique du conflit au Nord est systématiquement évacuée et, donc, ne semble pas pouvoir aboutir à une solution acceptable et durable.
Il faudrait que le paysage politique malien se démocratise, que des figures politiques nouvelles, intègres et innovantes, puissent émerger, qu’une opposition digne de ce nom puisse changer les pratiques politiques mafieuses qui sont responsables de la destruction de ce pays, et soit capable d’utiliser un autre langage que celui de l’équipe au pouvoir pour gérer les problèmes du pays. Et pour finir, il serait temps d’arrêter la politique désastreuse du bouc émissaire – destinée à faire oublier les frasques du personnel politique – et de pénaliser la propagande appelant à la haine raciale contre les Touaregs. On peut toujours espérer…
Le Chameau bègue
Y a-t-il un contexte international favorable au respect de cet Accord ?
Je pense que la communauté internationale veut trouver une solution rapide à ce conflit qui commence à faire tâche en dévoilant de surprenants réseaux mafieux et des alliances qui sont loin d’entrer dans l’opposition simpliste proposée à l’opinion publique entre un "axe du mal" et un "axe du bien" ! Ce conflit est une projection locale de la compétition que se livrent les grands acteurs de l’économie et de la politique mondiales. La langue de bois sur le "terrorisme" permet de reverser tout individu ou groupe contestataire dans cette catégorie à "éliminer", comme le déclarent certains responsables politiques français, dès lors qu’il dérange les intérêts nationaux ou internationaux.
C’est pourquoi cette gestion des insurrections politiques saharo-sahéliennes, qui consiste à étouffer les questions politiques posées par les mouvements insurrectionnels touaregs, mène à l’échec. On a le sentiment que la communauté internationale se contenterait d’une paix de façade, comme ce fut le cas dans les accords précédents. Elle continue à fermer les yeux sur la longue et répétitive affaire des pratiques génocidaires exercées par le Mali sur la population de l’Azawad, sur les destructions nombreuses de biens appartenant à des membres de la communauté touarègue ou arabe, sur la question des dédommagements de tous ceux qui ont été contraints à l’exil suite à la dévastation de leurs maisons, de leurs moyens de survie et souvent au massacre des leurs. De même, elle accepte que les milices gouvernementales participent aux accords alors que leur création même conduit à la guerre civile. Elle laisse le lobby malien exercer des pressions sur les responsables de programmes internationaux pour empêcher tout membre de la communauté touarègue de poursuivre ses activités dans cette sphère. Bref, le contexte est miné. Et finalement, le résultat est contre-productif pour l’Etat lui-même et pour sa pérennité, car cela n’a fait que renforcer, chez les Touaregs et leurs alliés, toutes tendances politiques confondues, le sentiment qu’ils ne peuvent décidément pas faire confiance au Mali.
Entretien publié par tamazgha
L'Azawad ou le rêve d'une nation touarègue