White bird (White bird in a blizzard)

Par Kinopitheque12

Gregg Araki, 2010 (États-Unis)



A 17 ans, Kat Connors perd du poids, sa virginité et sa mère. Arborant des t-shirts de Depeche Mode ou This Mortal Coil, la bande son de l’adolescente est à la fin des années 1980 essentiellement new wave et, dans sa chambre, les posters des énigmes d’Escher l’enferment. Bien loin des ambiances sombres des références citées (ajoutons Eraserhead de Lynch, 1977), Gregg Araki reste pourtant fidèle à la légèreté de ton, aux couleurs pop et acidulées (Kaboom, 2010). Le mélange détonne et, avec les goûts évoqués, en dépit du détachement affiché par la jeune fille devant la psy, un vague à l’âme transparaît.

Alors que Kat répond à ses émois et à ses envies, la mère, Eve, dont le couple ne tient plus que pour sauver les apparences, mûrit dans l’aigreur et la méchanceté… puis disparaît. Avec le grand tableau du salon, un paysage vide dans l’hiver, d’autres espaces glacent les élans de la jeune fille. Elle a des rêves bizarres dans lesquels, le plus souvent, au milieu de nulle part, elle voit sa mère ensevelie dans la neige, comme si le tableau qu’elle détestait avait fini par l’absorber.

Plutôt que sur Shailene Woodley (Kat) qui en star de moins en moins discrète déplace les foules (adolescentes) au cinéma [1], et même si l’on peut évoquer Shiloh Fernandez et Christopher Meloni [2] qui jouent respectivement le petit copain et le père de Kat, c’est sur Eva Green (Eve) que l’on insistera un instant. Car l’actrice, habituée aux rôles de troubles empoisonneuses pour ne pas dire de cruelles fardées [3], tire le récit d’Araki, déjà chronique adolescente cotonneuse et polar alangui, vers un autre registre. Eva Green par son « surjeu », mère devenue monstre (les traits abîmés par la haine et le mépris d’une vie qu’elle s’est laissée depuis les années 1960 imposer), fait aussi de White bird un film fantastique ; non seulement parce qu’elle est très tôt un fantôme pour sa fille, mais également parce que cette mère sexy n’est plus réduite qu’à une seule image, glacée et transparente, de la femme au foyer. Pour elle qui voit sa beauté se faner au fur et à mesure que sa fille s’épanouit, l’idée est détestable. Et si Eve ne s’était auparavant évanouie dans la nature, le personnage vidé de son être aurait pu finir comme Angelique Bouchard dans Dark shadows (Burton, 2012), une enveloppe brisée de mille éclats.

Cependant, White bird est parfois plus subtil que l’intrusion d’une Artémise vengeresse ou d’une Vanessa Ives possédée dans le salon coquet d’une héroïne de Sirk. Gregg Araki donne en effet à son adaptation du livre de Laura Kasischke (L’oiseau blanc dans le blizzard, paru pour la première fois en 1999) une dimension plus étrange que fantastique. Lorsque Sheryl Lee apparaît, la Laura Palmer de Lynch (Twin Peaks, 1991), dans le rôle de la petite amie du père, il y a de manière réflexive une certaine insistance. Insistance sur l’idée d’une réalité trompeuse : cette petite amie qui paraît redonner joie au père est sous prosac. Insistance sur la possible culpabilité du père : en faisant le choix de cette actrice, Araki installe aux côtés du moustachu l’image obsédante du corps refroidi et bleuté de Laura (l’introduction de la série de Lynch). Insistance sur un mystère (toute la substance de ce personnage fameux de Lynch) qui même une fois l’intrigue achevée demeure, comme la part que Kat tient en elle de sa mère et qui, certainement, la trouble plus qu’elle ne l’indiffère.



[1] The descendants d’Alexander Payne (2012) nous rend plus curieux que les gros succès de Nos étoiles contraires (Boone, 2014), des épisodes de Divergente 1 (Burger, 2014) et 2 (Schwentke, 2015) ou du diptyque à venir Allegiant (Schwentke, 2015).
[2] Le premier revenu d’Evil dead (Alvarez, 2013), le second de douze saisons de New York Unité Spéciale (1999).
[3] Vesper Lynd la traîtresse dans Casino royale (Campbell, 2006), Artemisia dans 300 : la naissance d’un Empire (Noam Murro, 2014), ou Vanessa Ives dans Penny Dreadful (John Logan, 2014).