La nécessité et l’urgence de réduire considérablement la
taille de l’État québécois pour assurer sa pérennité soulèvent automatiquement
la question : qu’arrivera-t-il aux plus démunis ? C’est une question
pertinente. Quel sera le sort des plus pauvres dans une société où tous les
programmes gouvernementaux d’aide aux plus démunis seraient abolis ?
Le gouvernement et la pauvreté.
1. Le modèle qui prévaut dans l’opinion publique québécoise.
En écoutant les lignes ouvertes et en lisant les pages d’opinion des journaux,
j’ai souvent l’impression que les Québécois présument que les individus œuvrant
dans le milieu des affaires se comportent systématiquement de façon égoïste.
Qu’ils cherchent à maximiser leur utilité individuelle, souvent au détriment de
leurs concitoyens plus naïfs, pour mieux satisfaire leurs besoins personnels.
De plus, ils présument que les politiciens et les fonctionnaires sont des gens
généralement altruistes qui ne cherchent pas à maximiser leur utilité
personnelle, mais cherchent plutôt à promouvoir l’intérêt public. Ils
considèrent donc que la tâche première du gouvernement est de protéger les
faibles contre les forts. Ainsi, selon la croyance populaire, les individus
sont divisés en deux groupes : les égoïstes qui œuvrent dans le domaine de
l’économie de marché et les altruistes qui s'investissent dans la vie
politique.
Les implications qui découlent de ces croyances politico-économiques sont
importantes. Dans un marché libre de toutes entraves les individus égoïstes,
économiquement forts, bien éduqués, peu scrupuleux dominent nécessairement les
faibles : les handicapés physiques et mentaux, les sous-scolarisés, les
minorités et les pauvres en général. Mais, puisque les individus œuvrant au
sein du gouvernement sont censés être altruistes, il leur incombe d’imposer des
politiques de redistribution de la richesse entre les dominants et les
laissés-pour-compte. Ainsi, selon la croyance populaire, l’économie de marché
cause la pauvreté des faibles alors que le comportement altruiste des
politiciens et des fonctionnaires vise à rétablir un minimum d’équilibre.
2. La réalité.
L’hypothèse selon laquelle les individus œuvrant dans la sphère de l’économie
de marché sont égoïstes alors que ceux œuvrant dans la sphère gouvernementale
sont altruistes est un mythe. Il n’y a pas de raison de croire que la nature
départage systématiquement les individus en deux groupes : les égoïstes et les
altruistes. Chaque individu est un mélange d’altruisme et d’égoïsme dont les
proportions diffèrent d’un individu à l’autre.
Il est évident qu’un grand nombre d’individus du milieu des affaires ont des
comportements altruistes. Pour s’en convaincre, il suffit de faire l’inventaire
de leurs contributions, en temps et en argent, aux nombreux organismes voués au
mieux-être de la société. Il est tout aussi évident qu’un grand nombre
d’individus œuvrant dans le domaine public ont des comportements égoïstes. Il
suffit de s’arrêter aux grands titres des médias pour s’en convaincre. De plus,
il est raisonnable de croire que les proportions d’individus altruistes et
égoïstes dans les deux groupes, en supposant que chacun des groupes est
représentatif de l’ensemble de la société, sont à peu près les mêmes.
Le fait qu’il y ait des individus ayant des comportements altruistes et
égoïstes dans chacun des groupes formant une société implique que le modèle de
société décrit ci-dessus ne peut exister. Le milieu des affaires et le
gouvernement n’ont pas d’objectifs indépendants de ceux des individus qui les
composent. Seuls les individus ont des objectifs et ceux-ci peuvent se situer
n’importe où entre purement altruistes et purement égoïstes. L’économie de
marché est l’outil utilisé par ceux qui y œuvrent pour atteindre leurs
objectifs. De même, le gouvernement est l’instrument permettant à ceux qui y
participent d’atteindre leurs buts.
Donc, la question fondamentale n’est pas de savoir si la société doit adopter
le modèle dit « égoïste » (économie de marché) ou le modèle dit « altruiste »
(gouvernement). Il faut plutôt s’attarder à choisir les instruments qui peuvent
les mieux contribués à satisfaire les besoins de chacun des membres de la
société. En d’autres mots, est-ce que l’économie de marché est un instrument
plus efficace que le gouvernement pour permettre aux Québécois d’atteindre les
objectifs sociaux qu’ils voudront bien se donner ?
3. Comment le gouvernement fonctionne-t-il ?
Avant de répondre à cette question, il est utile d’identifier les différences
fondamentales entre le milieu des affaires et le gouvernement. Le milieu des
affaires représente le domaine où les individus peuvent librement échanger des
biens et services. Dans cet environnement, les échanges se font sur une base
strictement volontaire. La force ne peut être utilisée pour obliger qui que ce
soit à faire un échange qui ne lui convient pas. Ainsi, un échange sera
effectué seulement si les partis impliqués perçoivent qu’ils reçoivent plus
qu’ils ne donnent.
Au contraire, le gouvernement est le seul organisme dans une société qui peut
faire appel à la force. Le gouvernement utilise son monopole sur l’utilisation
de la force pour imposer le transfert des biens d’un groupe d’individus à un
autre groupe d’individus. C’est cette caractéristique du gouvernement qui en fait
un instrument si utile aux groupes qui en prennent le contrôle.
Puisque la démocratie implique que le gouvernement est contrôlé par la
majorité, il est logique de croire que les pauvres, dans la mesure où ils sont
en nombre suffisant, contrôleront le gouvernement. Ainsi, le gouvernement
pourra adopter des politiques permettant de transférer une partie de la
richesse des mieux nantis aux plus pauvres. Toutefois, la réalité est beaucoup
plus complexe.
En fait, le concept de « majorité démocratique » est une vision de l’esprit
plutôt qu’une réalité. Chaque individu a des intérêts personnels qu’il désire
conserver ou améliorer. De plus, les individus ayant des intérêts en commun
s’unissent pour former des groupes de pression (syndicats, associations, groupes
sociaux) augmentant d’autant leur pouvoir politique.
Le but des groupes de pression est évidemment de promouvoir les intérêts de ses
membres en influençant en leur faveur les politiques gouvernementales. Les
syndicats demandent des lois du travail favorables à la syndicalisation. Le
conseil du patronat demande la libéralisation des mêmes lois. Les agriculteurs
exigent la gestion de l’offre et des prix planchers élevés. Les groupes sociaux
demandent plus de subventions pour assurer leur pérennité. Etc.
Si le but premier d’un groupe de pression est d’influencer les politiques
gouvernementales, ces groupes vont naturellement encourager leurs membres à
voter pour les politiciens qui promettent de supporter les politiques qui leur
sont favorables. Ainsi, le but du politicien est de s’engager à supporter les
demandes des groupes de pression représentant suffisamment de votes pour être
élus. On est loin d’une démocratie où chacun vote librement dans le but d’élire
un gouvernement représentant les intérêts de la majorité de la population.
Dans ce système, malgré leur nombre, les pauvres sont les grands perdants. Ils
leur manquent les trois éléments essentiels pour influencer l’appareil
politique : le temps, l’argent et les compétences. Malgré le fait qu’il y ait
de plus en plus de programmes et d’argent dédiés à enrayer la pauvreté, les
pauvres sont toujours là. Il faut se rendre à l’évidence. La machine
gouvernementale et les groupes de pression qui se sont donné pour mission
d’aider les pauvres engloutissent la majorité des budgets et bien peu de cet
argent se rend aux destinataires.
L’économie de marché et la pauvreté.
1. Les statistiques sont trompeuses.
Selon l’Institut de la Statistique du
Québec, près de 16% de la population québécoise vit sous le seuil de faible
revenue (SFR), soit plus d’un million de personnes. Ces statistiques trompeuses
servent bien les nombreux groupes de pression dont l’existence même dépend du
plus grand nombre possible de pauvres. Elles servent bien aussi les politiciens
qui s’en servent pour justifier la croissance du gouvernement sous le prétexte
vertueux de redistribuer la richesse.
Ces statistiques alarmantes soulèvent plus de questions qu’elles en répondent.
Une donnée statistique représente une photo de la situation
à un moment précis dans le temps. Il est certain qu’un grand nombre des
individus gagnant un revenu moindre que le SFR à un moment donné ne feront plus
partie de ces mêmes statistiques dans un mois, un an ou deux ans. Ces
personnes, en voie d’escalader l’échelle socio-économique, sont-elles vraiment
des personnes pauvres ?
Les taux de taxation marginaux quasi usuraires pratiqués au
Québec sont à une invitation à développer l’économie au noir. Différentes
études concluent que l’économie au noir représente entre 3% et 16% du PIB
canadien. Selon le ministère des Finances, l’économie au noir au Québec
représente des pertes fiscales de plus de 3 milliards $. Combien de personnes
gagnant moins que le SFR ont des revenus non déclarés ?
Un certain nombre de personnes choisissent un mode de vie
qui les maintient en bas du SFR. Certains par choix personnel, d’autres
beaucoup plus nombreux et moins scrupuleux, dans le but exprès de profiter au
maximum des largesses du système. Elles ne se considèrent pas pauvres pour
autant.
Il n’y a pas de doute qu’il existe des gens pauvres au Québec. Toutefois, la
réalité est beaucoup moins dramatique que ne le laissent entendre les
statistiques officielles.
2. Les limites de l’aide gouvernementale.
En supposant que la perception qui prévaut dans l’opinion publique soit réelle
et que le gouvernement pratique des politiques altruistes favorables aux plus
pauvres, la réalité impose des limites importantes à la capacité du
gouvernement à enrayer la pauvreté.
Prenons le cas du système d’éducation. Un des objectifs visés par une politique
d’éducation primaire et secondaire gratuite et obligatoire et par une politique
de frais de scolarité ridiculement bas pour les études postsecondaires est de
favoriser l’accès aux études aux enfants des familles pauvres. Ceci croyait-on
allait briser le cycle de la pauvreté. Toutefois, en réalité, cette politique a
favorisé l’accès aux études aux enfants des familles de classe moyenne et
élevée. Les enfants des familles pauvres continuent trop souvent d’alimenter le
marché du travail dès qu’ils atteignent l’âge légal.
Le monopole d’État centralise les décisions entre les mains
de quelques fonctionnaires. Le directeur d’école et les professeurs, coincés
entre les fonctionnaires et la convention collective, ne peuvent que constater
les dégâts. En particulier dans les milieux défavorisés, ils sont
continuellement soumis aux abus des enfants, des parents, des fonctionnaires et
des représentants syndicaux. Faut-il se surprendre si parfois ils remettent en
question leur choix de carrière. Le système est congestionné, sclérosé avec
pour conséquence l’augmentation sans fin des coûts et la diminution constante
de la qualité. Les parents qui sont prêts à tout sacrifier pour assurer
l’avenir de leur progéniture envoient leurs enfants à l’école privée. Les
enfants des parents pauvres n’ont d’autres choix que de fréquenter leur école
de quartier. Les plus débrouillards s’en tireront envers et contre tous, mais la
plupart reçoivent une éducation médiocre qui leur garantit une place permanente
chez les pauvres.
Cette constatation prévaut à des degrés divers dans tous les domaines
monopolisés par l’état. Les pauvres sont bien utiles pour justifier
l’interventionnisme de l’État, mais ils sont toujours les derniers à recevoir
l’aide promise. Malheureusement, trop souvent ils ne reçoivent que des miettes.
Les statistiques économiques de l’OCDE démontrent que dans les économies
modernes la pauvreté diminue lorsque la croissance économique excède la
croissance démographique. Les programmes gouvernementaux mis sur pieds pour
enrayer la pauvreté ont au mieux des effets positifs à court terme et au pire
détournent des fonds qu’il aurait mieux valu utiliser pour créer de la
richesse.
3. Les avantages de l’économie de marché.
Devant l’incapacité des gouvernements à enrayer la pauvreté il faut se demander
si l’économie de marché peut faire mieux.
L’économie de marché tend naturellement à utiliser tous les facteurs de
production disponibles, incluant la main-d’œuvre, de manière à améliorer son
efficacité. En recherchant le profit, l’entrepreneur favorise l’utilisation de
main-d’œuvre ou de machinerie selon qu’il juge que l’un ou l’autre lui
procurera un avantage compétitif. Ainsi, les ressources nécessairement limitées
d’une économie sont allouées de façon à optimiser la croissance économique ce
qui en retour favorise la création d’emploi et la diminution de la pauvreté.
Certains des emplois créés seront peu rémunérés. Toutefois, ces emplois
existeront seulement dans la mesure où des travailleurs seront disponibles pour
les occuper. La plupart des gens préfèrent occuper un emploi, même peu
rémunéré, plutôt que d’être exclus de la société par la rampe de l’aide
sociale, comme cela se produit trop souvent aujourd’hui. Pour beaucoup de gens,
le sentiment d’être utile, d’appartenir à une équipe, de contribuer à la
société, sont des valeurs plus importantes que le seul salaire. Comment
pourrions-nous expliquer autrement les milliers de Québécois (es) qui œuvrent
comme bénévoles ? Ils transmettront ces valeurs à leurs enfants et ainsi brisera
peut-être le cycle infernal de la pauvreté. L’économie de marché aide aussi les
pauvres en tant que consommateurs. Les entrepreneurs libres d’optimiser les
divers facteurs de production disponibles peuvent offrir des biens et services
à moindre coût, les rendant ainsi plus accessibles.
4. Les vrais pauvres.
Dans un modèle de société où c’est l’économie de marché qui prédomine,
qu’arriverait-il aux plus démunis, à ceux qui n’ont même pas les moyens de
subvenir à leurs besoins les plus élémentaires ? Quel que soit le modèle
socio-économique que nous préconisons un certain nombre de personnes doivent
être prises en charge par l’ensemble de la société. L’élimination de tous les
programmes interventionnistes de l’état aurait deux conséquences : (1) la
pauvreté découlant des politiques interventionnistes et mal avisés du
gouvernement serait automatiquement éliminée ; et (2) la croissance économique
accrue permettrait de dégager les surplus requis pour procurer à tous les
groupes de la société des conditions de vie raisonnables.
Les Québécois sont de nature généreuse. Ils acceptent un taux de fiscalisation
usuraire de plus de 50% dans l’espoir que l’argent qu’ils ont durement gagné
sera utilisé parcimonieusement pour procurer à tous une qualité de vie
raisonnable. De plus, ils contribuent des centaines de millions annuellement
aux nombreuses campagnes de levée de fond pour financer des groupes
communautaires, des activités de recherche et développement, des
investissements en santé, en éducation, en infrastructures communautaires.
Devant l’incurie du gouvernement à fournir les services prépayés par les
contribuables, près de 20% de la population de 15 ans et plus, plus d’un
million de Québécois, consacrent 200 millions d’heures, l’équivalent de 100 000
emplois à plein temps, au bénévolat. De surcroît, le Secrétariat à l’action
communautaire autonome évalue à 3,9 millions le nombre de personnes aidantes
qui soutiennent des proches sans passer par un organisme communautaire. Sans
l’apport des bénévoles des centaines de milliers de Québécois vivraient dans
l’indigence totale. Ce n’est pas le gouvernement qui amenuise la misère des
pauvres, mais les Québécois eux-mêmes. Toutefois, les politiciens, les groupes
de pression et les fonctionnaires prennent tout le crédit sans même rougir.
Il n’y a aucun doute, si on leur en donne la chance, les Québécois sauront se
responsabiliser face à leurs concitoyens moins chanceux. Le cas de la clinique du Dr Julien est un
exemple probant. Devant l’incapacité des nombreux organismes gouvernementaux à
subvenir aux besoins des enfants en difficulté du quartier Hochelaga
Maisonneuve, le Dr Julien a mis sur pieds une clinique dont la réputation fait
maintenant l’envie de tous. Pour éviter d’être assujetti aux politiques
sclérosantes du gouvernement, le Dr Julien fait appel à la générosité des
Québécois pour financer sa clinique. Il a recruté des bénévoles compétents et
engagés pour remplacer le personnel syndiqué. Ainsi, il élimine le risque que
l’application de la convention collective ait préséance sur les besoins des
enfants. Si on pouvait mesurer le ratio de la valeur des services rendus par
rapport aux ressources investies de la clinique du Dr Julien, je ne doute pas qu’il
serait dix fois plus élevé que celui d’une clinique gouvernementale.
Si par miracle le gouvernement abandonnait tous les programmes d’aide aux
pauvres et remettait aux Québécois, sous forme de réduction d’impôts, les
économies ainsi réalisées, des milliers de Québécois de la trempe du Dr Julien
auraient vite fait de mettre sur pied des organismes de remplacement qui eux
sauraient apporter des solutions originales aux vrais problèmes.
Conclusion
L’opinion populaire québécoise, croyant à l’altruisme des politiciens et
fonctionnaires œuvrant dans le gouvernement, demande toujours plus de
politiques visant à enrayer la pauvreté. Dans les faits, les pauvres sont plus
souvent les victimes plutôt que les bénéficiaires des programmes
gouvernementaux. De plus, ce qui compte ce sont les résultats, pas les
intentions. Même en supposant que le modèle socio-économique favorisé par les
Québécois soit intrinsèquement altruiste la réalité impose d’importantes
limites à la capacité du gouvernement à enrayer la pauvreté. L’économie de
marché, au contraire, peut réduire la pauvreté en créant des emplois et en
dégageant suffisamment de richesse excédentaire pour subvenir adéquatement au
besoin des vrais pauvres.
Finalement, j’ai toutes les raisons de croire que les pauvres seraient beaucoup
mieux servis par l’économie de marché que par le gouvernement.