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Pour commencer, je voudrais rappeler à ceux qui ne me connaissent pas que j’ai exercé en tant que soignant infirmier dans plusieurs services de psychiatrie pendant une dizaine d’années. De plus, la particularité de ces services étaient, précisément, d’accueillir des patients souffrant de syndrome anxio-dépressif avec souvent des idées suicidaires associées. Je ne surprendrai donc personne en avançant que le sujet me parle un tant soit peu…
Dépression : savoir de quoi on parle
Depuis le jour de cette catastrophe aérienne, rapidement le doute s’est installé sur la santé mentale du copilote. Quelques investigations plus tard, il se trouvait affublé d’un passé tourmenté par des troubles d’ordre psychiatrique avec la dépression en point d’orgue. Dès lors, une ribambelle d’experts et pseudo-experts se sont bousculés au portillon des chaînes de désinformation continue et autres plateaux de journaux télévisés, allant chacun de son analyse et de son interprétation.
Ce n’est pas tant leurs analyses que je remets en cause, mais le phénomène de généralisation et de raccourci qui en découle de manière implicite et sournoise.
Pour rappel, voici ce que propose l’OMS (Organisation Mondiale pour la Santé) comme définition de la dépression :
“La dépression est un trouble mental courant se caractérisant par une tristesse, une perte d’intérêt ou de plaisir, des sentiments de culpabilité ou de dévalorisation de soi, un sommeil ou un appétit perturbé, une certaine fatigue et des problèmes de concentration.
La dépression peut perdurer ou devenir récurrente, entravant ainsi de façon substantielle l’aptitude d’un individu à fonctionner au travail ou à l’école ou à faire face à sa vie quotidienne. À son paroxysme, elle peut conduire au suicide. Lorsqu’elle est légère, on peut traiter les patients sans médicaments, mais une dépression modérée ou sévère peut nécessiter médication et une psychothérapie menée par un professionnel compétent.
La dépression est un trouble qui peut être diagnostiqué de façon fiable et traité par des non-spécialistes dans le cadre des soins de santé primaires. Des soins spécialisés peuvent être nécessaires pour une minorité de cas de dépression complexe qui ne répondent pas aux traitements de première ligne”
La dépression en chiffres
Source OMS et ministère de la santé.
- 350 millions de personnes dans le monde souffrent de dépression
- Chiffre multiplié par 10 depuis les années 70
- C’est la 1ère cause mondiale d’incapacité et sera la 2ème cause d’invalidité en 2020 (après les troubles cardiovasculaires)
- Les femmes ont 2 fois plus de risque que les hommes d’en être victime
- En France, entre 5 à 15% de la population souffriraient de dépression
- Une enquête de 2005 montre qu’environ 3 millions de personnes ont subi un épisode dépressif caractérisé (c’est-à-dire diagnostiqué selon certains critères) l’année précédente
- 9 millions de personnes ont vécus ou vivront un épisode dépressif au cours de leur vie.
- 1 cas sur 2 n’est pas soigné
- L’âge de survenue du 1er épisode dépressif se situe en moyenne entre 30 et 40 ans
- Le risque de décès par suicide est 10 fois plus élevé chez les patients souffrant de ce trouble que dans la population générale
- 70% des personnes qui décèdent par suicide souffraient de dépression non soignée ou non diagnostiquée
Si je partage toutes ces données chiffrées, ce n’est pas pour plomber l’ambiance, mais pour vous montrer que cette pathologie est très répandue et nécessite toute l’attention que méritent les personnes qui en souffrent.
Chaque dépression est unique
Personne n’est à l’abri d’un épisode dépressif au cours de sa vie. Il y a bien sûr des terrains plus à risque que d’autres, mais suivant les événements de la vie et les ressources dont nous disposons pour y faire face, “tomber en dépression” n’est pas uniquement l’affaire du “lointain cousin qui a toujours été un peu fragile”.
Ainsi, même si les signes caractéristiques d’une dépression sont en grande partie communs à tous les patients dépressifs (voir les symptômes plus bas), il y a autant de dépressions qu’il y a d’individus . En effet, chaque personne a une histoire qui lui est propre, des blessures qu’elle seule connaît, un développement de sa personnalité unique tout comme le contexte dans lequel elle évolue. En fonction de tous ces éléments, chaque personne “vit” cet épisode de manière unique et particulière.
C’est pourquoi généraliser le cas isolé d’un copilote qui, lui aussi, a SON histoire, SA personnalité, SES blessures, SON contexte et SON évolution, à toutes les personnes touchées par cette maladie n’a aucun sens. C’est comme si une personne avec toute la complexité qui la caractérise était réduite à une singulière pathologie. C’est un peu le même raisonnement absurde avec les jeunes qui commettent des massacres dans leur collège aux Etats-Unis et qui étaient, « Oh My God ! », fans de jeux vidéos. Le lien de cause à effet est inexistant. Pour être clair, ce n’est pas parce qu’une personne souffre de dépression qu’elle a automatiquement envie de mourir et encore moins d’entraîner d’autres personnes dans la mort.
Oui, les contre-exemples existent et nous en avons eu malheureusement une triste preuve récemment, mais ils font partie de l’exceptionnel. Si nous rapprochons ce constat du chiffre de l’OMS et ses 350 millions de personnes souffrant de cette maladie, il y a de quoi relativiser. Le lien implicite mis en avant dans les médias, entre les circonstances de ce drame et la maladie dépressive est un biais cognitif.
Les personnes dépressives ont déjà assez à faire avec leur souffrance quotidienne, pour ne pas en plus se voir stigmatisées comme de potentiels assassins en puissance.
Les signes de la dépression
Pour terminer ce billet teinté d’agacement, voici les symptômes d’un épisode dépressif majeur, histoire de permettre à tout le monde d’avoir les mêmes infos.
Les critères ci-dessous sont ceux du manuel DSM-V proposé par l’American Psychiatric Association. C’est le manuel dont s’aident les psychiatres pour établir leur diagnostic.
Critères principaux :
A – Au moins cinq des symptômes suivants doivent avoir été présents pendant une même période d’une durée de deux semaines et avoir représenté un changement par rapport au fonctionnement antérieur;
Au moins un des symptômes est soit (1) une humeur dépressive, soit (2) une perte d’intérêt ou de plaisir.
NB. Ne pas inclure des symptômes qui sont manifestement imputables à une affection générale.
- Humeur dépressive présente pratiquement toute la journée, presque tous les jours, signalée par le sujet (sentiment de tristesse ou vide) ou observée par les autres (pleurs).
- Diminution marquée de l’intérêt ou du plaisir pour toutes ou presque toutes les activités pratiquement toute la journée, presque tous les jours.
- Perte ou gain de poids significatif (5%) en l’absence de régime, ou diminution ou augmentation de l’appétit tous les jours.
- Insomnie ou hypersomnie presque tous les jours.
- Agitation ou ralentissement psychomoteur presque tous les jours.
- Fatigue ou perte d’énergie tous les jours.
- Sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive ou inappropriée (qui peut être délirante) presque tous les jours (pas seulement se faire grief ou se sentir coupable d’être malade).
- Diminution de l’aptitude à penser ou à se concentrer ou indécision presque tous les jours (signalée par le sujet ou observée par les autres).
- Pensées de mort récurrentes (pas seulement une peur de mourir), idées suicidaires récurrentes sans plan précis ou tentative de suicide ou plan précis pour se suicider
Critères associés :
B- Les symptômes induisent une souffrance cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants.
C- Les symptômes ne sont pas imputables aux effets physiologiques directs d’une substance ou d’une affection médicale générale.
D- L’épisode ne répond pas aux critères du trouble schizoaffectif et ne se superpose pas à une schizophrénie, à un trouble schizophréniforme, à un trouble délirant ou à une autre trouble psychotique.
E- Il n’y a jamais eu d’épisode maniaque ou hypomaniaque.
Note: La réponse normale et attendue en réponse à un événement impliquant une perte significative (ex. : deuil, ruine financière, désastre naturel), incluant un sentiment de tristesse, de la rumination, de l’insomnie, une perte d’appétit et une perte de poids, peut ressembler à un épisode dépressif. La présence de symptômes tels que sentiment de dévalorisation, des idées suicidaires (autre que vouloir rejoindre un être aimé), un ralentissement psychomoteur, et une altération sévère du fonctionnement général suggèrent la présence d’un épisode dépressif majeur en plus de la réponse normale à une perte significative.
D’après ce que je lis, à aucun moment il n’est stipulé une tendance générale à entraîner dans la mort d’autres personnes que la personne elle-même.
Sources :
http://istopsuicide.org/fr/chapter/?id=88.php
http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs369/fr/
http://www.sante.gouv.fr/la-depression.html
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