La vie par effraction

Publié le 03 avril 2015 par Adtraviata

Quatrième de couverture :

Quelques heures. Quelques jours tout au plus. Intrusion dans l’histoire de treize adolescents. Morceaux de vies. Arrachées. Rêvées. Courses effrénées pour tenter d’exister.

Les pas de Jessica se perdent dans les rues froides de Bruxelles, tandis que ceux d’Églantine se cherchent. Les yeux assassins de Nina. Les yeux gris de Marine. Du gris de la pluie au soleil des collines. Les rêves hauts de Maria. Le couteau de Julien. Par amour. Le couteau de Vlad. Pour les faire taire. Tous. Ne pas baisser la tête. Jamais.

Jacinthe Mazzocchetti est anthropologue et enseigne à l’Université catholique de Louvain. Elle a publié de nombreux ouvrages et articles scientifiques. Nourrie de récits, de rencontres et de voyages par sa profession, elle s’offre au travers de l’écriture littéraire une mise en mots des émotions qui l’ont imprégnée tout au long de son parcours.

Le titre et la quatrième de couverture, « Ne pas baisser la tête. Jamais. » laissent entendre que les ados héros de ces nouvelles tentent de vivre, malgré tout, ils semblent induire un écho, une intention positive dans leur lutte pour vivre. Pourtant au début de ma lecture, j’ai d’abord été frappée, presque écrasée par le sombre, le rude, le violent de leurs destins.

Violence subie par Jessica, Eglantine, Nina, Vlad, Maria, Samira et les autres, violence qu’ils portent en eux aussi, violence des sentiments quand on aime trop et trop fort. Quand on n’est pas assez aimé aussi. Cette violence, elle a pour noms maltraitance, alcoolisme, viol, inceste, génocide, fuite, exil… mais elle n’est jamais clairement nommée, elle se dévoile au détour d’une phrase, dans un silence sur la page, dans un soupir noyé de larmes, dans un cri de souffrance aiguë. Comment pourrait-elle être nommée puisque, c’est bien connu, ces formes de violence se passent de mots, elles sont souvent sourdes et aveugles, elles ne voient pas l’autre, l’être en devenir comme une personne douée de parole. Heureusement, Margot, Léa, Louis, Julien et les autres essayent envers et contre tout de sortir du cercle vicieux, tentent d’exister face à des adultes souvent enfermés dans leurs certitudes, leur ordre (im)moral, quand ils ne sont pas défaillants, absents, voire inexistants. Car ce sont les ados qui sont les héros de ces nouvelles, avec leur désir de vivre ou d’en finir, leur fièvre, leurs questions, leur idéalisme parfois bien écorné, leur incapacité à prendre distance, leur vie dans l’instant, leur brûlure intérieure.

Pour évoquer ces vies d’ados, Jacinthe Mazzocchetti emploie un style nerveux, à phrases courtes, parfois heurtées, un peu comme cette course contre le temps, cette lutte que mènent nombre de ses héros, une écriture qui rend bien le « à bout de souffle » vécu par certains. J’ai dû m’y accommoder, de même qu’au côté un peu mystérieux des textes qui ne révèlent jamais complètement les choses. Il faut lui reconnaître une grande sensibilité, une empathie envers ses personnages, de la pudeur aussi  si elle en disait trop, elle briserait les secrets intimes de ces adolescents si fragiles, qui ont déjà vécu des expériences tellement difficiles. Les corps trinquent, les personnalités se construisent vaille que vaille. Certains sont sur le chemin de la résilience mais pour d’autres, la route est encore si sombre, si remplie de souffrance… on espère qu’ils ne seront pas lâchement largués au fossé.

Un recueil exigeant sur le plan psychologique.

« Jessica

Elle s’est levée un matin. Les yeux grands. Le regard clair. Elle a ouvert l’armoire, rempli le sac, enfilé ses bottines. Elle a serré monsieur Jo contre son coeur, soulevé le couvercle de la poubelle, tué son enfance. Elle a enterré le rose terni de la peluche sous les déchets. Elle a pris un pull, fouillé le vieux portefeuille de la mère, chiffonné un billet de vingt dans le fond de sa poche. Elle s’est dirigée vers la porte. Les respirations douces de Coralie et de Nathan l’ont retenue un instant. Et puis tout s’est refermé. La pluie de la rue. Désormais.

 

Jessica avance. Son petit trente-six dans les flaques, sa silhouette frêle entre les gouttes, ses quinze ans en valise. Le vide d’une rue endormie. Il doit être cinq heures. Elle trébuche sur le chaos des pavés. Un chien aboie. Elle se presse. Une fois sortie de la cité, elle sera hors d’atteinte. Personne ne la connait au-delà. Un peu tôt pour une écolière. Une voyageuse. Anonyme. Libre.

Elle sourit, le nez dans son écharpe. Encore un tournant avant la chaussée. Un dernier coup d’oeil sur les façades tristes et les ruelles jonchées de cannettes. La rue est à nous. L’accordéon résonne.

Rejoindre la ville la plus proche. Première étape. Ne pas se faire remarquer, ne pas prendre de risques. Marcher sur le bas-côté. Baisser la tête au passage des rares véhicules. Sept kilomètres à parcourir.

Le rouge et le bleu des guirlandes habillent les devantures des portes. Par les tentures entrouvertes, elle aperçoit le doré des sapins. Elle avance, les souvenirs agglutinés dans son bagage. Le coin du feu. Le petit arbre bleu. » (p. 7-8)

Jacinthe MAZZOCCHETTI, La vie par effraction, Quadrature, 2014

Encore merci à Mina et aux éditions Quadrature, puisque j’ai gagné ce livre lors du concours de fin de l’année Quadrature.

Pour ce rendez-vous Nouvelles, Mina présente aussi un recueil de chez… Quadrature, Du côté d’elles, de Denis Riguelle.

Tous les billets des participants sont à retrouver ici.


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