N'ayons aucune illusion : 150, 500, 1000, 5000 ou 15 000 Africains peuvent mourir (attentat, épidémie, catastrophe naturelle, etc) dans l'indifférence médiatique et il en sera ainsi pour longtemps car leurs masses monolithiques ne vaudront jamais celle d'un individu occidental. N'attendons aucune vague internationale de solidarité et encore moins de hashtags Twitter tels que #JeSuisGarissa, en hommage aux 147 étudiants kenyans assassinés « à la kalach » sur leur campus dans la nuit du 2 avril 2015 par un commando terroriste des Shebabs.
Au-delà de la cruauté de cette attaque d'ampleur, le terrorisme djihadiste abhorre l'éducation et la culture a fortiori lorsqu'elle englobe la gente féminine. Lors d'une mission professionnelle au Mali quelques années plus tôt, un imam radical m'avait béatifié en affirmant tout de go que « la vaisselle des mères au travail brille moins que celles des mères au foyer » (sic). Dans un pays où les femmes sont au coeur de l'activité microéconomique, cette vision proprement islamiste mènerait l'économie locale vers la ruine à grande vitesse.
Outre leur vulnérabilité (accès libre, faible surveillance, etc), les écoles et les universités africaines sont très souvent des lieux mixtes dans lesquels l'ethnie, la religion et le sexe s'effacent peu ou prou derrière le statut scolaire ou étudiant, le tout dans une ambiance réellement joviale. Par ailleurs, les familles africaines – pour lesquelles l'éducation est quasiment sacrée – cassent leurs tirelires afin d'inscrire leur enfants à l'école ou à l'université. En massacrant des élèves ou des étudiants, le terrorisme djihadiste envoie un signal fort à la société et aux familles qui percevront alors la salle de classe et l'amphithéâtre comme le lieu de tous les dangers. Parallèlement, la mixité inter-confessionelle s'effrondre au profit des sectarismes chrétiens et musulmans, à la fois par suspicion et par crainte d'une attaque terroriste.
Les réguliers kidnappings de Boko Haram dans les collèges et lycées du nord-Nigéria ont incité de nombreux parents à retirer leurs garçons et leurs filles de l'enseignement secondaire. Consécutivement, cette région fabrique sa spirale infernale sans fin : moins d'éducation, moins d'émancipation féminine, plus de chômage, plus de misère, plus de frustration et de colère et donc plus de recrues pour le djihad... véritablement payés à la petite semaine par leurs mentors.
Peut-on craindre un scénario similaire - à une moindre échelle – pour le Kenya ou pour d'autres pays africains qui ont pourtant considérablement investi dans l'éducation ?